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LA ROSE ROUGE.

— Qu’y a-t-il ? dit en se levant tout debout et en sursaut celui auquel il s’adressait, et dont la tête toucha presque le plafond de la cabane ; qu’y a-t-il ? est-ce l’ennemi qui nous vient ? et ces paroles furent dites avec un léger accent créole qui leur conservait de la douceur même au milieu de la menace.

— Non, mais un ordre du général en chef Westermann qui nous arrive.

Et pendant que son collègue lisait cet ordre, car celui qu’il avait apostrophé était son collègue, Marceau regardait avec une curiosité d’enfant les formes musculeuses de l’Hercule mulâtre qu’il avait devant les yeux.

C’était un homme de vingt-huit ans, aux cheveux crépus et courts, au teint brun, au front découvert et aux dents blanches, dont la force presque surnaturelle était connue de toute l’armée, qui lui avait vu, dans un jour de bataille, fendre un casque jusqu’à la cuirasse, et un jour de parade, étouffer entre ses jambes un cheval fougueux qui l’emportait. Celui-là n’avait pas long-temps à vivre non plus, mais moins heureux que Marceau, il devait mourir loin du champ de bataille, empoisonné par l’ordre d’un roi. C’était le général Alexandre Dumas, c’était mon père.

— Qui t’a apporté cet ordre ? dit-il.

— Le représentant du peuple Delmar.

— C’est bien. Et où doivent se rassembler ces pauvres diables.

— Dans un bois à une lieue et demie d’ici ; vois sur la carte, c’est là.

— Oui ; mais sur la carte, il n’y a pas les ravins, les montagnes, les arbres coupés, les mille chemins qui embarrassent la vraie route, où l’on a peine à se reconnaître, même dans le jour… Infernal pays… Avec cela qu’il y fait toujours froid.

— Tiens, dit Marceau en poussant la porte du pied, et en lui montrant le village en feu, sors et tu te chaufferas… Hé ! qu’est cela, citoyens ?

Ces paroles étaient adressées à un groupe de soldats qui,