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LA ROSE ROUGE.

quiétude surmontant sa timidité, elle s’approcha de lui avec le regard inquiet d’une femme aimée, qui sait qu’elle a le droit d’interroger, et qui interroge. Marceau lui présenta l’ordre qu’il venait de recevoir. Blanche y eut à peine jeté les yeux, qu’elle comprit à quel danger le défaut d’obéissance exposait son protecteur ; son cœur se brisait, et cependant elle trouva la force de l’engager à partir sans retard. Les femmes possèdent mieux que les hommes cette espèce de courage, parce que chez elles il tient d’un côté à la pudeur. Marceau la regarda tristement ; et vous aussi, Blanche, dit-il, vous ordonnez que je m’éloigne. — Au fait, ajouta-t-il en se levant, et comme se parlant à lui-même, qui pouvait me faire croire le contraire ? Insensé que j’étais ! lorsque je songeais à ce départ, j’avais quelquefois pensé qu’il lui coûterait des regrets et des pleurs. — Il marchait à grands pas. — Insensé ! des regrets, des pleurs ! Comme si je ne lui étais pas indifférent ! — En se retournant, il se trouva en face de Blanche : deux larmes roulaient sur les joues de la jeune fille muette, dont les soupirs saccadés soulevaient la poitrine. À son tour, Marceau sentit des pleurs dans ses yeux. — Oh ! pardonnez-moi, lui dit-il, pardonnez-moi, Blanche ; mais je suis malheureux, et le malheur rend défiant. Près de vous toujours ma vie semblait s’être mêlée à la vôtre ; comment séparer mes heures de vos heures, mes jours de vos jours ? J’avais tout oublié ; je croyais à l’éternité ainsi. Oh ! malheur, malheur ! je rêvais et je m’éveille. — Blanche, ajouta-t-il avec plus de calme, mais d’une voix plus triste, la guerre que nous faisons est cruelle et meurtrière, il est possible que nous ne nous revoyons jamais. — Il prit la main de Blanche, qui sanglottait. — Oh ! promettez-moi que si je tombe frappé loin de vous… Blanche, j’ai toujours eu le pressentiment d’une vie courte ; promettez-moi que mon souvenir se présentera quelquefois à votre pensée, mon nom à votre bouche, ne fût-ce qu’en songe ; et moi, moi, je vous promets, Blanche, que s’il y a, entre ma vie et ma mort, le temps de prononcer un nom, un seul, ce sera le vôtre.