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LITTÉRATURE.

suis bien consulté ; je suis trop faible. — Il faut que je meure ! — Et mourir sans vous avoir vue, sans avoir écouté le bruit de vos pas, le frémissement de votre robe, sans avoir recueilli vos pleurs !

Il se leva brusquement, comme pour s’éloigner de Julie, mais ce mouvement fit tomber un pistolet de sa poche.

La marquise regarda cette arme d’un œil qui n’exprimait plus ni passion ni pensée. Milord Grenville ramassa le pistolet.

— Arthur ?… demanda Julie.

— Madame, répondit-il, en baissant les yeux, j’étais venu plein de désespoir… — Je voulais…

Il s’arrêta.

— Vous vouliez vous tuer chez moi !… s’écria-t-elle.

— Non pas seul !… dit-il d’une voix douce.

— Eh quoi ! mon mari !…

— Non, non !… s’écria-t-il d’une voix étouffée. Mais rassurez-vous, mon fatal projet s’est évanoui : lorsque je suis entré, que je vous ai vue… alors, je me suis senti le courage de me taire.

Julie se leva, se jeta dans les bras d’Arthur en pleurant, et à travers ses sanglots, il distingua de vagues paroles pleines de passion.

— Connaître le bonheur et mourir, dit-elle. — Eh bien, oui !…

Toute l’histoire de Julie était dans ce cri profond ; cri de nature et d’amour, cri de toute sa vie ; fatale curiosité de femme, et à laquelle presque toutes succombent !… Mais tout à coup, s’arrachant des bras de son amant, elle lui jeta un regard fixe, le prit par la main, saisit un flambeau, l’entraîna dans sa chambre à coucher ; puis, parvenue au lit où dormait Hélène, elle repoussa doucement les rideaux, découvrit son enfant, et mit sa main blanche devant la bougie, afin que la clarté n’offensât pas les paupières transparentes et à peine fermées de la petite fille. — Hélène avait les bras ouverts, et souriait en dormant.