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UNE COURSE DE TAUREAUX.

Le pauvre animal ! que de courage il lui avait aussi fallu pour ce retour ! — Il s’était tout-à-fait épuisé, sans doute, à ce voyage ! N’étant plus bon à rien, on l’avait vendu peut-être une once[1] pour la place des taureaux.

Il était là toujours cependant, tout tremblant, tout chancelant, sous mes yeux !

Alors vinrent deux chulos pour le faire sortir de l’arène. L’un d’eux le tirait par la bride. Comme il n’avançait pas, l’autre le frappa d’un bâton à plusieurs reprises.

Chacun de ces coups me frappait violemment moi-même, et me retentissait dans l’âme.

Le pauvre animal fit un pas ; en même temps il releva un peu la tête, et la tourna de mon côté.

Je rencontrai son grand œil humide et trouble, où je pus lire sa souffrance, son agonie ; — où je pus lire aussi une sorte de triste et doux reproche.

Ce regard me disait : — Vous êtes un homme cruel ; vous m’aviez à moitié tué de fatigue, et vous venez me voir achever ici !

J’étais navré.

Je ne pouvais plus supporter ce spectacle ; je me couvris les yeux avec les mains.

Je demeurai quelque temps ainsi, le front appuyé sur la balustrade, n’osant plus regarder. — J’aurais donné beaucoup alors pour pouvoir pleurer.

Enfin Pepita me tira doucement par le bras. Je relevai la tête avec crainte.

Il n’était plus là, le pauvre vieux cheval ! On l’avait emmené mourir hors de la place ; — on l’avait aidé peut-être ! — C’était une cruelle — et consolante pensée. Je souffrais moins pourtant : je ne le voyais plus là dans les convulsions, sous l’impitoyable bâton des chulos ! — je souffrais moins.

  1. L'once vaut un peu plus de 80 francs de notre monnaie.