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LITTÉRATURE.

Toutes les aventures du poète vagabond ne furent pas aussi agréables. À son retour à Londres, il entreprit d’aller de cette ville à Queenborough dans un bateau de papier, ayant pour rames deux queues de morues sèches, attachées à deux bâtons. Le cabaretier, Roger Bird, accompagnait Taylor dans cette expédition désespérée. Ils s’étaient munis de huit vessies bien gonflées d’air, dont ils sentirent le besoin avant une demi-heure : ils n’avaient pas fait trois milles que le papier s’en alla en bouillie ; il ne leur resta pour toute protection que la carcasse du bateau soutenue à fleur d’eau par les vessies. Ils voguaient à grand’peine ; « des milliers de spectateurs nous cachaient le rivage, d’autres accouraient sur les vagues, à force de rames, dans de petits bateaux, des canots, des barques. Ils s’arrêtaient tous pour nous regarder. Nous passions, et le temps passait aussi, jusqu’à ce que la nuit eût fait passer le jour. Le soleil avait fui dans le monde inférieur ; la lune paresseuse s’oubliait sur sa couche ; les étoiles scintillaient, mais des nuages d’ébène obscurcissaient leur clarté. Les flots agités faisaient danser notre bateau, ou plutôt ce qui n’en était que l’ombre ; la rivière avait quatre milles de large ; pas de rames, la nuit noire, et nous ne savions où nous étions. Ainsi partagé entre le doute et la crainte, l’espérance et le désespoir, je me mis à l’œuvre, et Roger Bird en prières, et, comme la vague nous ballottait de haut, de bas, il criait avec ferveur : — Bon Dieu, recevez-nous ! »

Partis le samedi à la marée du soir, ces deux fous arrivèrent à Queenborough le lundi matin, jour de foire, et ce fut grand’fête à leur débarquement. La carcasse du bateau, que le maire voulait faire suspendre, comme monument, en la ville de Kent, fut mise en pièces par les habitans des campagnes, chacun voulant en emporter un débris en souvenir de cette étrange aventure.

Pendant la guerre civile, le poète des eaux de sa majesté se retira à Oxford, où il tenait une pension bourgeoise, guerroyant bravement, de la langue et de la plume, contre les