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LITTÉRATURE.

vrirent d’essences de roses ; elles démêlèrent nos cheveux, elles blanchirent nos visages, elles nous offrirent le sorbet dans des coupes de cristal. Elles murmuraient doucement à nos oreilles ; elles s’étonnaient de nous voir si polis et si doux, leur souriant avec amour, et leur baisant respectueusement les mains, nous, des hommes qui avions l’air plus guerriers que leurs maris.

Cependant, en dehors, nous entendions retentir les tambours français, et nous vidions nos coupes à la santé de nos frères d’armes moins heureux que nous.

Je n’ai jamais été plus heureux de ma vie. J’ai été en Espagne, hébergé dans des couvens de moines tout ruisselans de Malaga et de Porto ; je suis descendu en Italie, au milieu de la vapeur des roses, après avoir traversé les Alpes chargées de neige ; en revenant de Moscou, mort de froid et de faim, tout nu, tout blessé, j’ai été accueilli, un soir, par une comtesse polonaise de dix-huit ans, qui me mit dans son lit de baptiste et de velours, et me traita comme elle eût traité son propre fils, la pauvre femme ! Eh bien ! jamais, dans cette extrême joie, qui succède à l’extrême douleur, dans cette extrême abondance, qui remplace l’extrême disette, je n’ai éprouvé ce que j’ai éprouvé dans mon bain du Caire. Au milieu de mon sérail, à moi, au milieu de mes femmes émues, témoin de leur coquetterie, de leur passion, de leur amour, de leur abandon si complet, de leur gracieuse obéissance à l’heure présente, il me semblait que je prenais ma revanche de toutes mes fatigues, ma revanche de toutes mes privations depuis que j’avais quitté cette France où je m’amusais tant. Moi, enfin, j’avais trouvé le premier cet Orient après lequel nous courions tous ; je les avais trouvées ces saintes houris qui nous agitaient dans nos rêves, sous les tentes du camp ; le premier j’avais mis vraiment le pied sur cette étrange terre qui fuyait nos avides embrassemens. Tous les cinq, nous étions plus réellement vainqueurs du Caire que ne l’étaient Napoléon et le reste de l’armée. C’était encore plus une affaire de gloire et de vanité que ce n’était une affaire