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L’ÉCHELLE DE SOIE.

d’amour, mon ami ; voilà pourquoi je te rappelle tout cela en détail.

Quand les femmes turques sont au bain, personne n’a le droit de les troubler, pas même leur mari. Elles restèrent long-temps au bain ce jour-là. Mais enfin il fallut se séparer. Pour leur dire adieu, nous leur donnâmes à toutes un nom : — adieu, Louise ! adieu, Victoire ! adieu, Fanchette ! adieu, Marion ! adieu, toutes ! adieu, les belles ! adieu, les houris ! adieu, mes amours ! adieu, Fanny ! Quand je dis Fanny, je me trompe ; c’est le nom de ma fille ; c’est un nom que je ne donnerais pas pour le bâton d’un maréchal à la femme légitime du grand Turc. Mais adieu, Clarice ! adieu, Agathe ! adieu, Zoé ! adieu, toutes ! Nous réunîmes en bloc tous les noms de nos premières amours, et ces noms de Paris, ces noms de nos soirées de bal et d’Opéra, ces noms de nos théâtres ouverts de nouveau, ces noms de nos couvens détruits, ces noms français, ces noms en robes grecques et romaines, aux pieds nus et chargés de diamans, nous les fîmes retentir dans ce bain, qui les prit pour les noms les plus voluptueux de l’Orient. Nos adieux furent longs. Quels sourires ! que de larmes ! que de belles mains tendues vers nous ! Nous avions hâte de partir ; déjà battait la retraite du soir ; déjà les sons de la diane nous rappelaient tous à la garde du camp.

Mais, hélas ! hélas ! comment sortir ? le toit est élevé, la muraille est glissante ; il était si facile de se laisser glisser sur l’humide mosaïque. Mais comment remonter ? à la porte veillent les esclaves ; à la porte, si l’on nous voit, nous entendrons des cris féroces ; nous aurons désobéi au général ; nous exciterons une révolte dans la ville soumise à peine ; le Musulman jaloux invoquera Allah ; nous serons fusillés sur l’heure. Voilà ce que nous nous disions entre nous, mais tout cela en riant, en plaisantant, en vrais soldats, en disant adieu à nos compagnes, en épuisant les dernières gouttes de nos coupes.

Albert, qui était déjà caporal, tira gravement de sa poche