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LITTÉRATURE.

Le fâcheux de l’affaire, c’est que lorsqu’il fut rétabli, ses vêtemens étaient devenus à la fois et trop larges et trop courts. — Ses jambes ballottaient dans ses bas ; sa belle redingote abricot, qui ne faisait pas un pli lorsqu’il la mit pour la première fois à la fête de l’Ascension, trois jours avant de tomber malade, ressemblait maintenant sur son dos à une vessie à demi désenflée, — et malheureusement les visites et les ordonnances du médecin avaient tellement épuisé la bourse de notre jeune ménage, qu’il n’était pas possible, avant quelques mois, de songer à renouveler la garde-robe du convalescent.

Théodore avait toujours été d’une timidité que l’état actuel de sa toilette ne pouvait que beaucoup accroître, à un âge où l’on s’imagine que tous les yeux s’attachent sur nous. Ne voulant pas s’exposer aux railleries des passans, il prit le parti de ne sortir qu’après le coucher du soleil. Il se résigna d’autant plus aisément à cette réclusion, qu’il était laborieux, qu’il avait à réparer le temps perdu, et à exécuter un projet conçu dans ses nuits d’insomnie.

Il avait étudié la peinture, et ses dispositions étaient remarquables. Le vieux Fritsch, professeur à l’Académie, qui lui avait donné des leçons pendant deux ans, avait annoncé qu’il irait loin ; mais cette prédiction avait arrêté Théodore au milieu de sa carrière. La difficulté aiguillonne ceux qu’elle ne décourage pas. Tant qu’il douta du succès, il travailla avec ardeur. Il passait les journées entières dans l’atelier de son vieux maître ; mais dès qu’il eut obtenu cet éloge, il commença à réfléchir que la peinture n’était qu’un art incomplet, qu’une fraction de la poésie, seul interprète digne d’un esprit élevé.

Il se mit donc à faire des vers, malgré les remontrances de Fritsch, qui lui répétait vainement que toute langue est bonne à exprimer ses idées, que la nature, en accordant du génie à ses privilégiés, leur assigne telle ou telle contrée de l’art dont ils ne doivent pas sortir, sous peine de méconnaître leur vocation, et que c’est une folie non moindre à