Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/525

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
509
CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

— Moi ? je donnai à monsieur Bell trois guinées, qu’il reçut avec plaisir et sang-froid en les comptant bien.

— C’est, lui dis-je, le loyer de la chambre de M. Chatterton qui est mort.

— Oh ! dit-il avec l’air satisfait.

— Le corps est à moi, dis-je, je le ferai prendre.

— Oh ! me dit-il avec un air de consentement.

Il était bien à moi car cet étonnant Chatterton avait eu le sang-froid de laisser, sur ma table, un billet qui portait à peu près ceci :

— Je vends mon corps au docteur (le nom en blanc), à la condition de payer à M. Bell six mois de loyer de ma chambre, montant à la somme de trois guinées. Je désire qu’il ne reproche pas à ses enfants les gâteaux qu’ils m’apportaient chaque jour, et qui, depuis un mois, ont seuls soutenu ma vie.

Ici, le docteur se laissa couler dans la bergère sur laquelle il était placé, et il s’y enfonça jusqu’à ce qu’il se trouvât assis sur le dos et même sur les épaules.

— Là ! dit-il, avec un air de satisfaction et de soulagement, comme ayant fini son histoire.

— Mais Kitty Bell ? Kitty ? que devint-elle, dit Stello en cherchant à lire dans les yeux froids du docteur noir ?

— Ma foi, dit celui-ci, si ce n’est la douleur, le calomel des médecins anglais dut lui faire bien du mal car, n’ayant pas été appelé, je vins visiter les gâteaux de sa boutique. Il y avait là ses deux beaux enfans qui jouaient et chantaient en habit noir. Je m’en allai en frappant la porte de manière à la briser.

— Et le corps du poète ?

— Rien n’y toucha que le linceul et la bière. Rassurez-vous.

— Et ses poèmes ?

— Il fallut dix-huit mois de patience pour réunir, coller et traduire les morceaux de ceux qu’il avait déchirés dans sa fureur. Quant à ceux que le charbon de terre avait brûlés, c’était la fin de la bataille d’Hastings dont on n’a que deux chants.