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LITTÉRATURE CRITIQUE.

puisée au commerce du Dante ; mais M. Antony Deschamps avait pris rang avant ce temps-là. M. Barbier au contraire est bien véritablement un enfant du soleil de juillet. Jusqu’à ce moment ses palettes incertaines se chargeaient de couleurs, ses imaginations se heurtaient sans prendre corps ; sa muse ne trouvait pas jour ; il attendait. Le tonnerre serein de la grande semaine et quelques vers d’André Chénier, dont le rythme lui est revenu à l’oreille, ont décidé de sa vocation, et tout cet amas de verve et de peinture a débordé. Le jet a été violent, gigantesque, exagéré, mais de cette exagération en partie voulue que comporte la satire, sinon la satire d’Horace, du moins celle de Juvenal, et qui pousse au-delà du réel dans certains cas pour mieux pouvoir y atteindre dans beaucoup d’autres. Il nous a semblé qu’en lisant les vers de M. Barbier, plusieurs personnes, qui pourtant les admirent, n’y cherchent guère qu’un plaisir étrange, un tour de force inoui jusqu’à présent, des exploits pour les yeux, l’intrépidité extraordinaire dans les plus périlleuses images que jamais poète ait tentées. D’autres personnes au contraire, d’un goût plus féminin, se sont révoltées à ces mêmes images, à ces abus de parole où se délectent les audacieux. Des deux côtés, il y a méprise, ce nous semble, et jugement superficiel. Et pour répondre d’abord aux timorés qui vous diront avec Boileau qu’ils fuient un effronté qui prêche la pudeur, nous maintenons qu’il est dans la société actuelle et derrière le vernis fragile de nos mœurs, des vices, des désordres, une corruption radicale qu’on peut ignorer à toute force, et, par là même éluder avec bon goût dans la satire littéraire, mais qui du moment qu’on y pénètre et qu’on les remue, salissent inévitablement le vers, comme la plaie hideuse qu’il sonde, salit le doigt de l’opérateur. Tout homme de notre âge, dont la vie n’a pas été celle d’une jeune fille de province, tout homme que ses passions ou les circonstances ont mêlé aux diverses classes de notre civilisation si vantée, et qui ne les a pas envisagées, comme trop souvent, avec des yeux cupides et un cœur endurci, celui-là sait fort