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MARINE FRANÇAISE.

royaumes, sait apprécier un marin ; tout le monde sait ce que c’est qu’un vaisseau ; tout le monde pense que l’Angleterre ne saurait perdre l’empire qu’elle a sur les mers. Elle le perdra cependant un jour, comme la Hollande a perdu le sien, comme l’Espagne, comme la France ont perdu le leur ; mais ce sera à la suite de grandes catastrophes, ou bien si l’esprit français redevient tout de suite plus marin qu’il ne l’est.

La population anglaise est maritime, la nôtre est militaire ; l’esprit militaire se développe chez nous autant que de l’autre côté du détroit l’esprit maritime. Nous encourageons cette tendance qui n’a pas besoin d’être encouragée, et nous ne faisons presque rien pour pousser sur les navires des hommes qui vont très-volontiers dans un régiment, et qui, pour la plupart, iraient sur mer tout aussi bien, s’ils savaient ce que c’est que mer et navires.

On est soldat ici parce que partout il y a un tambour pour battre le rappel, des pompons pour grandir un paysan grenadier, et des crieurs pour faire retentir dans les rues de tous les villages l’annonce d’un bulletin de la grande armée. Puis, les souvenirs de cent batailles heureuses sont-là ; puis, dans le plus petit bourg, il y a un manchot, un boiteux, un borgne, qui ont perdu leur œil, leur jambe, leur bras en Prusse ou en Autriche, et qui racontent leurs campagnes de manière à donner envie au plus poltron d’aller voir Vienne ou Berlin, en prenant vingt champs de batailles pour grandes routes. Si, à la place du vétéran cavalier, artilleur ou fantassin, vous aviez un invalide revenu de l’Inde, d’Aboukir, de Trafalgar ou de Navarin, ce serait bien différent.

En Angleterre, le conteur de la veillée a usé plus d’une paire de souliers à se promener pendant le quart sur le gaillard d’avant. Il sait la mer et ses grands effets ; il est poète malgré lui, parce qu’il a des choses essentiellement poétiques à raconter ; il enflamme, il pénètre, il fait des marins comme notre vieux soldat fait des soldats autour de lui.

Ajoutez à cela que la considération dont jouissent les ma-