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LITTÉRATURE CRITIQUE.

duire en des voies de plus en plus éloignées de celles du doux Pasteur. L’intuition libre, au lieu de le réconcilier insensiblement par l’amour, engendre familièrement en son sein des légions d’épouvantes. Il n’y avait donc qu’une volonté de tous les instans qui pût le diriger et le maintenir dans la première route chrétienne où sa muse de dix-neuf ans s’était lancée. Or, le poète qui possède cependant une vertu de volonté si efficace et qui en donne chaque jour des preuves assez manifestes dans le cours de son infatigable carrière, semble en être venu, soit indifférence pratique, soit conscience de l’infirmité humaine en ces matières, à ne plus appliquer cette volonté à la recherche ou à la défense de certaines solutions religieuses, à ne plus faire assaut avec ce rocher toujours instable et retombant. Il laisse désormais flotter son âme et reçoit, comme un bienfait pour la muse, tous les orages, toutes les ténèbres, et aussi tous les rayons, tous les parfums. Assis dans sa gloire au foyer domestique ; croyant, pour dernière et unique religion, à la famille, à la paternité, il accepte les doutes, les angoisses inséparables d’un esprit ardent, comme on subit une loi de l’atmosphère ; il reste l’heureux et le sage dans ce qui l’entoure, avec des anxiétés mortelles aux extrémités de son génie ; c’est une plénitude entourée de vide. Quelle étrange vigueur d’âme cela suppose ! On trouverait quelque chose de semblable dans la sagesse du Roi hébreu. Le poète n’espère plus, ni ne se révolte plus ; il a tout sondé, il a tout interrogé, depuis le cèdre jusqu’à l’hysope ; il recommence encore bien souvent, mais par irrésistible instinct et pur besoin de se mouvoir. Quand il marche, voyez-le, le cou penché, voyageur sans but, rêveur effaré, courbant son vaste front sous la voûte du monde !

Que faire et que penser ? Nier, douter ou croire !
Carrefour ténébreux ! triple route ! nuit noire !
Le plus sage s’assied sous l’arbre du chemin,
Disant tout bas : J’irai, Seigneur, où tu m’envoies ;