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LA HORCA.

baissait de plus en plus ; la nuit allait venir. Il était près de huit heures.

Les quatre frères de paz y caridad se levèrent. Ils prirent la tablilla, et l’emportant avec eux se dirigèrent vers la horca. Le bourreau les suivit avec son valet qui s’était tenu à l’écart jusqu’à ce montent ; — je les suivis aussi.

Les frères placèrent la tablilla au-dessous du supplicié. Cependant, le bourreau, témoin de ces apprêts, regardait le cadavre de sa victime avec une effrayante attention. Sur la figure pâle de cet homme, et dans son regard brillant et fixe, on lisait une vive souffrance, une sorte de remords, puis en même temps, une ironie âcre et sauvage ; tout cela exprimait des passions à part de nos passions humaines, d’étranges douleurs à nous inconnues ; tout cela disait : — « Voilà donc mon œuvre à moi ! voilà la part que me font les hommes ! je suis la bête féroce à laquelle on jette pour nourriture des condamnés à dévorer ! ô misère ! »

S’arrachant tout d’un coup, à cette monstrueuse rêverie, le bourreau monta rapidement, par l’escalier, au sommet de la horca. Puis, il détacha de la traverse de bois la corde qui y suspendait le supplicié. Les frères soutenaient en même temps, et recevaient le corps dans leurs bras. Ils l’étendirent sur la tablilla. Alors ils lui ôtèrent la corde du cou, et délièrent aussi celles qui lui attachaient les pieds et les mains. Ensuite, ils lui retirèrent successivement, et avec une parfaite décence, tous ses vêtemens jusqu’à sa chemise, ayant eu soin de lui passer d’abord une robe de laine grise qu’ils lui laissèrent. C’était l’habit des moines de l’ordre de Saint-François.

Le bourreau était descendu de la horca et s’était placé debout devant la tablilla, appuyé sur son bâton. Les frères jetèrent à ses pieds les cordes de la horca, et les vêtemens du supplicié. Ces vêtemens revenaient de droit à l’exécuteur. C’était encore un de ses bénéfices. Le valet du bourreau s’accroupit devant son maître, et mit les hardes dans un grand sac ; puis, ils partirent tous deux : le valet emportant sur son dos les cordes et le sac ; le maître, son bâton à la main. Ni l’un ni l’autre n’avaient touché, même du bout du doigt le corps du supplicié ! — Oh ! c’était bien