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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

nent la justesse de leurs soupçons, et désertèrent une école qui les avait trompés comme un faux ami.

Aussi, dès les premiers jours de notre révolution, tous les esprits jeunes et vigoureux cherchèrent, soit un aliment à leur pensée, soit un but au besoin d’agir qui les dévorait. Vous désirez beaucoup, monsieur, que je vous touche quelques mots tant du républicanisme que du saint-simonisme ; je tâcherai de vous satisfaire dans d’autres lettres ; mais remarquons ensemble sur-le-champ la foi vive, l’ardeur généreuse que décelaient ces doctrines républicaines et philosophiques ; c’était une irruption vers la liberté et la vérité. On se poussait, on se pressait à leur conquête, si fort on était alors persuadé que rien n’est impossible à la volonté qui descend dans l’arène pour n’en sortir que victorieuse ou déchirée. Je ne recherche en ce moment la valeur et la portée des théories ; mais je les appelle en témoignage de l’ardeur qui nous travaillait, de la sève qui nous alimentait le cœur. Jours d’espérance et d’enthousiasme, nous ne vous avons pas oubliés ; nous vous avons déposés dans un coin de nos âmes, comme une source cachée, vive et pure.

Comment donc, à cet élan unanime, ont pu succéder tant d’opinions divergentes et tant d’apparences de découragement ? Sous la charte de 1814, monsieur, la liberté n’était pour la France qu’une concession et une exception ; on l’avait laissé vivre, car on n’avait pu faire autrement ; on lui avait même octroyé une certaine existence légale ; mais elle était toujours tenue en suspicion, et en état de surveillance ; le principe de la monarchie légitime lui faisait une vie dure, la muletait par de mauvais traitemens et des outrages. Cependant, monsieur, on s’accoutume à tout ; la pauvre liberté consentit à être traitée comme la servante de Sara, pourvu qu’on lui permît d’exister et de temps en temps de se montrer féconde ; elle prit d’humbles habitudes, et parfois des idées aussi médiocres que sa fortune. Voilà que tout-à-coup de l’extrême servitude elle passe sur le trône ; on la salue et on l’adore comme le principe et la reine de la société. Son premier mouvement, dans cet avè-