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REVUE DES DEUX MONDES.

d’aller à cent lieues de tout rivage de la mer, et d’y mourir comme un vieux congre[1] qui s’est échoué à la marée montante, et n’a pas eu la force de regagner la première lame au jusant.

Adolphe, abattu par la douleur du capitaine qu’il aimait, et sincèrement affligé, ne répondit pas d’abord au second de la Julie.

— Ah ! Reprit à part lui et à demi-voix, M. Dupuis, les jeunes gens s’imaginent qu’ils en savent plus que Dieu. Ils ne croient à rien, et ils regardent comme des fous ceux qui croient à quelque chose. Avec ça on fait de la jolie besogne !

Ce bourdonnement arracha le lieutenant à ses réflexions. – Mon Dieu, monsieur Dupuis, je sais bien que j’ai eu tort avec vous… Certainement j’ai foi à la Vierge et à tous les saints du paradis ; mais j’ai foi aussi à la prudence humaine, et je crois qu’il ne faut lever les bras au ciel que lorsqu’on ne peut plus les mieux employer.

— Oh ! Monsieur Adolphe, que dites-vous là ! c’est un blasphème plus gros qu’une montagne. Avec vos plaisanteries athées, vous nous ferez périr. Et tenez justement, ne voilà-t-il pas que le feu nous gagne, voyez la fumée sortir abondamment de partout.

C’était la vérité. La fumée se dégageait par un grand nombre de coutures que la chaleur du soleil et celle de l’incendie avaient ouvertes. Cette irruption assez soudaine effraya l’équipage, et un cri simultané : « Le feu ! » la signala aux trois officiers, que l’on croyait tenir conseil et qui avaient ensemble l’explication à laquelle le lecteur vient d’assister.

— Mouillez le pont, dit le capitaine ; et le lieutenant répéta aussitôt : — Allons enfans, mouillez le pont ; le capitaine l’ordonne.

— Le capitaine ! le capitaine ! murmurèrent quelques voix qui témoignaient ainsi de leur étonnement irrespectueux. – Tiens ! le capitaine, il se réveille donc !

— Taisez-vous reprit vivement Adolphe, qui s’empressa de couvrir de son commandement la rumeur injurieuse, et

  1. Anguille de mer.