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REVUE DES DEUX MONDES.

— Jacques ! s’écria le lieutenant, vous tairez-vous ?

Cette parole, prononcée avec autorité, imposa silence au matelot, dont le bavardage avait fait un mal visible à ses deux interlocuteurs. Adolphe alla se rasseoir sur le banc de quart où le suivit madame Oppic, qui, penchant sa tête sur l’épaule de son mari, lui dit en pleurant : « Quelle nuit de noces, mon ami !

— Affreuse, en effet !

— Et sans lendemain, peut-être !

— Non, reprit avec inspiration Adolphe qui sortit de l’abattement dans lequel il était plongé depuis long-temps, comme d’un sommeil que le cauchemar a rendu douloureux ; non, le mal n’est pas si grand que tu le crois, et que j’ai eu la faiblesse de le croire moi-même un moment ! Nous ne périrons pas ici ». Il ajouta avec tendresse : — Rassure-toi… Que de délicieuses nuits suivront cette nuit d’angoisses et de terreurs ! Eh mais, cette nuit n’a-t-elle pas son charme ?

— Je commence à le croire, Adolphe.

— N’est-ce rien que de pouvoir parler d’amour en présence d’un péril aussi imminent ? N’y a-t-il pas quelque chose de grand et de beau dans cette situation de deux amans qui deviennent époux, n’ayant, pour témoins de leur union, que Dieu et la mort ?

— Oui, cela est grand pour vous qui avez une âme forte ; mais pour une femme faible, et que l’amour soutient à peine au-dessus du précipice !… Je ne puis me défendre d’un sentiment pénible qu’il faut que tu me pardonnes, Adolphe : maintenant, j’ai peur. D’abord j’étais pleine de confiance, parce que je te voyais tranquille ; je t’ai vu tout-à-l’heure doutant du sort et de toi-même ; j’ai frémi. De funestes pressentimens m’accablent.

— Je te l’ai dit, Désirée, rassure-toi. Vois, que le ciel est beau ! la mer et le vent sont favorables à notre navigation ; rien n’annonce un changement qui puisse nous alarmer. La brise nous seconde, et ne soulève pas les lames de manière à fatiguer le bâtiment et à faire craindre pour sa mâture. Si les circonstances où nous sommes restent les mêmes, si nous veillons toujours avec