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hautaine et impie, que son dédain, en marquant, comme d’un fer rouge, le siècle à l’épaule, lui arracherait un cri d’angoisse et de rage.

Mais qu’il se rassure et qu’il se tranquillise. Sa vertu demeure entière, mais elle n’aura pas les honneurs du martyre. Au temps où nous vivons, entre l’heure de la bourse et celle du Théâtre-Italien, entre la lecture des journaux et la séance de la chambre, entre la promenade et le bal, il ne se trouvera pas une colère qui veuille répondre à la sienne.

Le siècle est impie, à la bonne heure, ou tant pis ! selon qu’on croit ou qu’on ne croit pas. Les religions s’en vont avec les monarchies ; cultes et lois, tout s’enfouit sous les mêmes ruines ; les rois et les dieux sont emportés dans le même naufrage ; mais qu’y faire, et que voulez-vous ? De plus habiles et plus forts que vous ont dépensé le meilleur de leur génie pour arrêter le torrent. M. de Châteaubriand a tenté de refaire le christianisme par la poésie, et le siècle n’en a tenu compte. Sans la main toute puissante de Napoléon, les églises seraient demeurées désertes et fermées ; le saint ciboire et la patène n’auraient pas reparu sur l’autel, ou peut-être, comme les statues de Séjan dont Juvénal nous a conté les métamorphoses, seraient devenus bracelets, bagues et pendans d’oreille. Sans le premier consul, le génie du christianisme aurait été comme non avenu, et malgré les beautés poétiques de la religion chrétienne, la poésie aurait continué de se passer de la religion ; grâce à la double volonté des deux hommes à qui nous devons René et la bataille de Marengo, nous avons eu deux mensonges de plus : des prières sans foi et le sacre de l’empereur, deux grandes impiétés !

L’abbé de Lamennais, qui devait naître en 1682, au temps où Bossuet publiait son Histoire des variations, et qui n’avait pas sous sa main Louis xiv ou Napoléon, ni, pour promulguer sa parole, un huissier royal en bottes éperonnées et la cravache à la main, ou le canon de Saint-Roch, a voulu reconstruire la société par la religion, et asseoir la raison sur les marches du trône pontifical. Mais à l’exception de quelques rares et studieux esprits qui prennent encore souci des grandes et graves pensées, et qui ont encore le courage de les regarder passer, mais non pas de les suivre, à peine si le Traité de l’indifférence a provoqué quelques chuchoteries de controverse, et n’étaient les belles pages de M. Damiron, éloquente apologie de la raison contre l’autorité, habile restitution de la logique cartésienne, à peine si le siècle saurait que M. de Lamennais ressemble à J.-J. Rousseau par toutes les hautes qualités de l’imagination et du style.

Joseph de Maistre a eu le même sort. Peut-être n’y a-t-il pas en France deux cents personnes qui aient lu le Pape et les Soirées de Saint-Pétersbourg.

M. Drouineau a eu meilleure espérance, et il a fait le Manuscrit vert. Il ne prétend, comme il l’annonce dès les premières pages, à rien moins qu’à rétablir le règne de la vertu et de la foi. Pour atteindre ce but élevé, pour réaliser cette vaste pensée dont on ne peut contester l’éclat et la dignité, quel que soit d’ailleurs le succès de sa tentative, il avait à choisir entre le sermon, le plaidoyer, la satire ou le poème : il a pris le roman.