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met un bozal (baillon ou mors) avec un tapojo (bandeau) qui couvre ses yeux, quand cela est nécessaire, et on le selle de suite. On se sert d’abord d’une corde très mince pour licou, le cheval ne pouvant souffrir un mors dans la bouche sans se cabrer et se renverser sur son cavalier. Puis on lui délie les jambes, on dénoue la corde qui lui serrait le cou, et bientôt il revient à lui, se lève, mais reste immobile et tremblant, jusqu’à ce que ses yeux soient découverts. Quand le cavalier est monté, et bien en selle, il enlève le tapojo, et alors commence la lutte entre la force et l’activité de l’animal sauvage épouvanté, combattant pour sa liberté, et le talent d’équitation sans égal du Llanero. Le cheval paraît d’abord si étonné et si confus, qu’il n’ose se mouvoir ; mais bientôt les cris et les coups des compagnons de son cavalier le réveillent. Alors les efforts qu’il fait pour se débarrasser de son fardeau sont extraordinaires et dangereux pour celui qui le monte. Les chevaux de l’Amérique du Sud cependant sont rarement vicieux, ils ne se roulent, ni se frottent contre les arbres, moyens qu’emploient quelques chevaux pour se débarrasser de leur cavalier. Les Llaneros ont un mot technique, pour exprimer la première lutte du cheval sauvage, corcovear[1] et représentent par cette image la manière dont l’animal courbe son dos, et fait un certain nombre de bonds devant lui, frappant la terre avec ses quatre pieds à-la-fois. Il semble se gonfler exprès aussi, pour ne donner aucune élasticité à ses mouvemens, et faire sentir au cavalier la violence de chaque coup. Souvent l’épine du dos, et les reins se ressentent fortement de ces secousses, et pour y obvier, les Llaneros serrent leur ruano ou couverture autour de leur taille. Tant que le cheval continue à faire ses sauts, le cavalier fait un usage fréquent du bâton sur la tête, et bientôt toute la vivacité de l’animal cède à la violence du remède. Au bout de deux jours, il

  1. Corcovear. Nous manquons de verbe en français pour traduire ce mot, qui équivaut à notre expression faire le gros dos, et dérive de corcova, bosse.