Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
DE L’ALLEMAGNE.

sens. Religion, droit, commerce, liberté, despotisme, tout ce qui vit ici[1], tout ce qui pense, tout ce qui agit, pousse à sa manière vers ce dénoûment. Au quinzième siècle, l’Allemagne avait acheté la réforme au prix de son unité. Cet état jusque-là si homogène, cet empire du moyen âge qui dans sa forme indivisible représentait si bien le type d’un état catholique, tout cela vola en éclats, tout cela se délia en même temps que la foi dans la conscience nationale. Chaque province s’en alla revendiquer pour soi sa personnalité politique, comme chaque conscience s’était mise à relever de son autorité privée, et la grande unité du corps germanique se décomposa dans cette sorte d’anarchie régulière et féconde qui est le principe et la vie du dogme protestant. Depuis que la tunique de l’empire a été ainsi déchirée et partagée, deux choses ont servi à rapprocher ses parties et à rendre à l’état la conscience de lui-même. La première est le mouvement philosophique et littéraire de l’Allemagne ; d’une part, ce mouvement fut tellement intime à l’Allemagne, elle mit une telle opiniâtreté à se soustraire à toute influence étrangère, elle se contint si bien dans les limites de sa nature à elle, elle se décida si imperturbablement à rester indigène, qu’aucune littérature ne donne mieux en effet, dans un instant déterminé, l’impression et presque le souvenir de toute la vie passée d’un peuple et d’une race d’hommes ; ce fut une littérature de réaction. D’un autre côté, dans le manque absolu d’institutions, les lettres en servirent. Il y eut là pour l’art quelques années éternellement regrettables, où il fut véritablement ce qu’il avait été chez les Grecs, une force sociale, un lien politique, un pouvoir dans l’état. On n’avait ni les mêmes lois, ni le même pays. On obéissait à des princes différens, à des passions différentes. On ne se rencontrait guère dans la vie publique que sur le champ de bataille et dans des rangs opposés ; mais tous on se sentait unis et inséparables dans un poème de Goëthe, dans un drame de Schiller, dans une improvisation de Fichte. Cette dictature de l’art était toujours prête pour intervenir dans les

  1. Ceci a été écrit en Allemagne ; ce qui suit l’a été en France.