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REVUE DES DEUX MONDES.

Immortale jecur.

Mais, monsieur, de nos jours on se fait une renommée, et une renommée fort satisfaisante, sans tant de soucis et d’embarras. Deux moyens, dans ces dernières années, menaient sûrement à la gloire : une traduction et une préface. Par une traduction, vous évitez d’abord de vous compromettre vous-même, et cependant vous faites connaître votre nom ; il est vrai que vous êtes derrière quelqu’un, mais on vous y voit ; vous pourrez même affecter à propos quelque air de supériorité sur l’auteur que vous aurez traduit ; cela fera bien, donnera de vous une haute idée et d’immenses espérances. Enfin, quand le temps sera venu, quand tout sera mûr et préparé, l’homme de génie s’affranchira de toute entrave, il déploiera ses ailes, il enfantera quoi ? une préface. Ah ! la préface, voilà le grand œuvre ! Là on se donne pleine carrière, on censure de haut ce que les autres ont fait, on indique ce qu’il aurait fallu faire, on promet de l’entreprendre un jour, on annonce un magnifique ouvrage, auquel on est censé travailler toute sa vie. Plusieurs ont dû leur célébrité à ces démonstrations d’une impuissance altière.

Par malheur, le temps de la réussite est passé pour ces arrangemens industrieux ; l’air des révolutions est trop vif pour les tempéramens frêles. Le temps, dit Shakespeare, a sur son dos une besace où il jette les aumônes qu’il va recueillant pour l’oubli, énorme géant, monstre nourri d’ingratitude. Cette activité terrible du temps semble avoir redoublé de nos jours, surtout quand il ne trouve sur sa route pour remplir sa besace que des entreprises avortées et des gloires infirmes. On a dit que notre dernière révolution avait tué la littérature, oui, la petite, mais non pas la grande. La révolution a déconcerté, en effet, certaines illustrations ; désormais il sera plus difficile de conquérir la célébrité ; les coteries sont désorientées, ont perdu presque tout leur crédit ; le pays qui s’était prêté avec une grâce trop généreuse à décerner