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le laisser croire. Ils se seraient volontiers exposés à de grands dangers pour fuir la prison et aller rejoindre l’armée qui était si près d’eux ; mais l’ignorance des choses de la marine leur exagérait les difficultés. Le capitaine Grivel, dans lequel ils ne voyaient qu’un téméraire, ne leur inspirait pas assez de confiance ; ils s’effrayaient d’une possibilité douteuse qui leur apparaissait comme une combinaison de roman rêvée par une imagination ardente, et qu’ils auraient embrassée peut-être avec ardeur, si le chef de l’entreprise n’avait pas été, à leurs yeux, un de ces jeunes extravagans qui affirment parce qu’ils désirent, et comptent sur leur fortune, faute de pouvoir compter sur leur expérience. Ils se trompaient, mais au moins ils étaient excusables. Aucun calcul honteux n’appuyait leur hésitation : ils ne demandaient pas mieux que de croire, et le capitaine Grivel n’avait pour les persuader qu’une conviction profonde qui se produisait avec énergie, et l’adhésion de tous les marins prisonniers sur le vieux vaisseau espagnol. Pour ces officiers-là, l’auteur du plan d’évasion n’avait pas de ces dédains dont il ne pouvait s’empêcher de laisser paraître quelque chose dans ses rapports avec les autres ; il tâchait de les gagner à son idée favorite, qu’il nourrissait, et qui le fortifiait contre les objections dont l’habileté des timides cherchait sans cesse à envelopper sa résolution.

L’entretien en resta où nous l’avons laissé tout-à-l’heure, et le capitaine Grivel se retira avec ses amis, parmi lesquels s’étaient rangés plusieurs officiers de l’armée de terre, entreprenans comme lui, et qui étaient tout prêts à jouer à croix ou pile la vie du ponton, dont ils étaient humiliés autant que fatigués.

— Eh ! bien, tant pis pour vous, messieurs, dit-il en rompant la conversation ! Je sais ce que nous avons à faire, nous autres qui ne craignons rien.

Le plan ne dormit pas dans la tête des captifs à qui le capitaine Grivel avait ouvert l’avis d’un coup de main, et qui l’avaient adopté. Il y prit un corps, et, pour Belleguy, Vergès, Ville et Dumoustier[1], ce fut dans l’avenir un fait aussi réel que s’il

  1. M. Belleguy est en retraite à Douarnenez ; MM. Ville et Vergès ont