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mais franche, entière et consolatrice, au moins pendant son exaltation éphémère.

Les échecs occupaient beaucoup de monde. Ce jeu est un bienfait pour des prisonniers : il isole celui qui en étudie les belles combinaisons, agit avec puissance sur toutes les facultés de l’intelligence, ne laisse point de relâche à l’attention, absorbe vite les plus longues heures, attache et intéresse par la diversité des moyens qu’il offre pour arriver à un but presque glorieux, tant il est difficile à atteindre. Le joueur d’échecs est tout à son armée. Le soin qu’il est forcé de prendre de sa réserve, comme de ses pièces d’attaque, ne lui permet guère d’avoir les yeux et la pensée hors des cases où se meuvent les acteurs de cette parodie du drame militaire.

La musique avait de l’attrait pour un grand nombre de pensionnaires de la Vieille-Castille ; elle était pleine de souvenirs ; elle les reportait en Italie et à Paris. C’était, pour l’écoutant, un plaisir d’une toute autre espèce que celui qu’il aurait pu prendre aux échecs. Cette distraction n’était point assurément sans mélange de regrets ; mais elle faisait disparaître les murailles sales du vaisseau, et donnait des illusions charmantes. Un morceau de Mozard, de Paësiello, de Gluck ou de Chérubini, reportait l’auditeur à une loge de théâtre, peuplée de femmes aimables, rappelait la délicieuse Barilli, qui faisait le bonheur des amateurs de l’Odéon, David qu’on avait vu à Saint-Charles ou la Scala, Lays qui gasconnait si sincèrement à l’Opéra, madame Sio qui avait été l’honneur de Feydeau. Pour les exécutans, la musique était un heureux travail. On s’appliquait à être agréable à ses compagnons, comme s’il se fût agi de plaire à un parterre d’artistes : c’était tout ce qu’on avait en vue dans le succès. La vanité n’y entrait pour rien. Le chef de musique de la quatrième légion, Perret, jouait fort bien de la clarinette ; on l’applaudissait, et il était heureux des bravos qu’il recueillait, autant qu’un médecin quand il a fait sourire son malade.

Les musiciens de la Vieille-Castille furent pour beaucoup dans les distractions que les prisonniers tâchaient de se procurer. Une espèce de concert avait été organisé. Le grand orchestre