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UN TOUR DE MATELOT.

manquait, mais on avait le quatuor et les virtuoses du chant. Une dame italienne dont la grâce et l’amabilité égalaient le beau talent, faisait des prodiges. Quand elle chantait, le jeu cessait dans tous les postes, et la foule accourait pour l’écouter. Madame Mollard fut pour les habitans du ponton une muse bienveillante ; ils ont conservé avec respect le souvenir des bonnes heures qu’elle leur a fait passer. Un commissaire des guerres chantait agréablement. Un pharmacien du deuxième corps de la Gironde, Castil-Blaze (le frère du spirituel critique musical), qui a écrit les Mémoires d’un apothicaire où sont fort bien racontés quelques-uns des évènemens de la guerre d’Espagne, chantait aussi, il avait un beau baryton. C’est à lui que ses concertans doivent d’avoir vu leur célébrité franchir les limites des bastingages[1] de la Vieille-Castille ; c’est lui qui a conservé les noms de madame Mollard, de MM. Perret, de Beaufranchet, chef de bataillon d’artillerie (aujourd’hui commandant à Paris) ; Demanche, commissaire des guerres (actuellement sous-intendant militaire) ; Genty et Chivaux, sous-lieutenans, violonistes aussi distingués que MM. Démanche et Beaufranchet étaient charmans chanteurs ; Savournin, agent comptable de vaisseau, excellent musicien, qui jouait de la basse. Le nom d’un élève de Rode, qui fit fureur non-seulement au ponton, mais à San-Carlos et à bord des bâtimens anglais qui se l’arrachaient, a échappé à M. Castil-Blaze.

Les matinées musicales des prisonniers français avaient beaucoup de réputation sur la rade de Cadiz, et à terre ; on y venait du port Sainte-Marie. Les officiers anglais avaient prié nos philharmonistes de leur permettre d’assister à leurs concerts ; ils ne

  1. Les bastingages étaient des espèces de remparts qui s’élevaient au-dessus des gaillards, tout autour des bâtimens, et sur des supports ou chandeliers de fer. Les hamacs et sacs des matelots et soldats y étaient enfermés pendant le jour ; c’était derrière ces redoutes où la mitraille venait un peu s’amortir, que combattait la mousquetterie. On a supprimé les hauts bastingages, en élevant les côtés des vaisseaux à sept pieds environ. Les lits de l’équipage ont un petit emplacement en haut de ces bastingages de bois ; les sacs sont serrés dans les coffres du faux pont.