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— Vous vous trompez, répondit-il alors avec une politesse ironique. Je pars ; allez vous mettre à vos fenêtres, pour voir cela. Permettez-moi de passer.

Les rangs lui furent ouverts. Il parut alors en haut de l’escalier au bas duquel ses amis l’attendaient avec impatience, mais sans accuser sa lenteur ; car ils le connaissaient trop bien pour avoir le moindre doute sur sa loyauté. Grivel ouvrit les bras ; c’était le signal convenu, et en une seconde, il fut au gouvernail, qui par bonheur n’avait pas été démonté. Les officiers de troupes se saisirent des matelots espagnols : les uns furent précipités dans la mer ; d’autres s’y jetèrent d’eux-mêmes, voyant que la résistance était inutile. Le patron monta avec une barrique à bord du ponton.

Les marins français, sûrs de leurs courageux auxiliaires, ne s’occupaient que de gréer le mulet. Ils hissèrent promptement la voile, pendant que de la Vieille-Castille, on cherchait à larguer l’amarre tournée aux patins[1] de l’avant. Personne n’avait de couteau pour la couper. Quelqu’un se dévoua ; ce fut l’aspirant Dumoustier, qui remonta sur la Vieille-Castille. Après avoir rendu le service d’où dépendait le succès de l’entreprise, il ne put plus redescendre dans la barque, et fut condamné à rester prisonnier, lui qui avait vu la liberté de si près !

Les incidens se multipliaient. Il faudrait dix plumes pour faire face à la nécessité où je suis de vous raconter tout ce qui se passa pendant cinq minutes sur la citerne et sur le vaisseau. Vous figurez-vous les Espagnols à la nage, criant, jurant, invoquant pour eux et contre les Français tous les saints du paradis, tous les diables de l’enfer ? Voyez-vous la lutte des officiers contre ces vigoureux Andalous, soit qu’il fallût les jeter à la mer, soit qu’il s’agît de les empêcher de remonter dans le bateau ? Entendez-vous Grivel donner tranquillement ses ordres, exécutés rapidement et en silence ? Et tout ce mouvement et tout ce tumulte vont augmenter encore. Deux causes, dont une

  1. Forts morceaux de bois, placés debout sur le bord du vaisseau.