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Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 5.djvu/514

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LE MESSAGE.

cherchai quelques-unes de mes belles phrases si laborieusement préparées ; alors pendant ce moment d’hésitation mutuelle, le mari put arriver en scène. Des myriades de pensées passèrent dans ma cervelle, et, par contenance, je prononcai quelques mots assez insignifians, demandant si les personnes présentes étaient bien réellement M. le comte et madame la comtesse de… Ces niaiseries me permirent de juger d’un seul coup-d’œil et d’analyser, avec une perspicacité flatteuse pour l’âge que j’avais, les deux époux dont j’allais troubler la solitude.

Le mari semblait être le type des gentilshommes actuels qui sont le plus bel ornement des provinces. Il portait de grands souliers, à grosses semelles ; je les place en première ligne, parce qu’ils me frappèrent plus vivement encore que son habit noir fané, son pantalon usé, sa cravate lâche et son col de chemise recroquevillé. Il y avait dans cet homme un peu du magistrat, beaucoup plus du conseiller de préfecture, toute l’importance d’un maire de canton auquel rien ne résiste, et l’aigreur d’un candidat électoral périodiquement refusé depuis 1816 ; incroyable mélange de bon sens campagnard et de sottises ; point de manières, la morgue de la richesse, beaucoup de soumission pour sa femme, mais se croyant le maître et prêt à se regimber dans les petites choses, sans avoir nul souci des affaires importantes ; du reste, une figure flétrie, très ridée, hâlée ; quelques cheveux gris, longs et plats : voila l’homme.

Mais la comtesse !… ah ! quelle vive et brusque opposition ne faisait-elle pas auprès de son mari ! C’était une petite femme à taille plate et gracieuse, ayant une tournure ravissante ; toute mignonne, délicate. Vous eussiez eu peur de lui briser les os en la touchant. Elle portait une robe de mousseline blanche ; elle avait sur la tête un joli bonnet à rubans roses, une ceinture rose, une guimpe remplie si délicieusement par ses épaules et par les plus beaux contours, qu’en les voyant, il naissait au fond du cœur une irrésistible envie de les baiser. Ses yeux étaient vifs, noirs, expressifs, ses mouvemens doux, son pied charmant. Un vieil homme à bonnes fortunes ne lui eût pas donné plus de trente années, tant il y avait de jeunesse dans son front et dans