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verre comme signe de la transparence ? Le dieu de la richesse ressemble au priape des Romains, enjolivé par les bizarreries de l’imagination chinoise.

Nous sortîmes du temple et parcourûmes les rues de Maimatschin, le sargutschei à notre tête, pour visiter les principaux marchands chinois. Notre hôte était accompagné de quelques soldats de police, qui portaient des bâtons recourbés en forme d’arc, et de ses deux jeunes interprètes. C’étaient, nous disait-on, des personnages importans. Ils étaient très recherchés dans leur mise, et portaient de longues queues de zibeline, qui pendaient du haut de leurs chapeaux et les rendaient fort ridicules. Comme il faisait nuit, nous étions éclairés par quatre porteurs de lanternes, dont le papier bariolé et les inscriptions transparentes ajoutaient encore à la bizarrerie de notre cortège. Ces lanternes, soutenues sur de longs bâtons de bois, étaient en forme de cubes, dont chaque face avait un pied et demi. En tête marchaient les porteurs de lanternes, puis nos acteurs musiciens, qui devaient être passablement enroués et fatigués, car depuis le matin jusqu’à cette heure ils n’avaient cessé de chanter et de sauter dans les rues ; enfin, venait le sargutschei, accompagné de ses deux interprètes, et suivi des Européens.

On nous offrit chez tous les marchands que nous visitâmes un repas semblable à celui du sargutschei. Heureusement les viandes disparurent peu-à-peu, et à la fin nous ne trouvâmes plus sur les tables que des fruits secs et du thé. Nous fîmes au moins douze visites, et dans toutes on nous poursuivit de cet éternel refrain, picha, picha (buvez, buvez) ; et il fallait boire, car chacun de nos hôtes nous servant du thé de sa maison, c’eût été lui faire affront que de le refuser. On compte maintenant plus de sept cents familles chinoises, dont les noms, inscrits sur les ballots qu’elles livrent au commerce russe, servent à désigner le thé qui sort de leurs magasins. Les marchands d’une famille s’engagent à ne fournir sous leur nom qu’une certaine qualité de marchandises, sans répondre toutefois des chances plus ou moins favorables des récoltes. Ces noms de famille sont consi-