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ne pris point place dans les voitures et je préférai faire à cheval les trente werstes qui nous séparaient de la demeure du chamba-lama. Nous partîmes par un temps magnifique. Je montai un de ces chevaux agiles qui bondissent dans les steppes et y cherchent, hiver comme été, leur nourriture. J’avais à mes côtés un paysan russe, qui devait ramener les chevaux des tilègues ; puis un des quatre lamas qu’on nous avait envoyés, et enfin le prince tungou, Gentimour : c’était notre interprète, un sous-officier cosaque qui appartenait à cette ancienne famille tungousienne dont Pierre-le-Grand avait reconnu les membres comme princes du sang impérial. Les prêtres burates montent fort bien à cheval, et celui qui nous accompagnait était toujours en tête de notre petite cavalcade. Après une course rapide de vingt-quatre werstes, le saint homme éleva la main vers l’occident, et Gentimour nous dit, pour expliquer ce geste, que la demeure du chamba-lama était dans cette direction. Nous fîmes le dernier werste au galop de parade, et tout-à-coup nous eûmes devant les yeux la scène la plus pittoresque du monde.

Depuis la porte du chamba-lama jusque dans la plaine, une multitude de prêtres, aux vêtemens bariolés, étaient rangés sur deux files. Le vent faisait flotter au-dessus de leurs têtes des banderolles de mille couleurs et de larges bannières. Je n’oublierai jamais la richesse et la bizarrerie de ce tableau, dont les nuances ressortaient à l’horizon sur le fond blanc des montagnes de neige et sur le ciel bleu de la Daurie. Nous passâmes entre ces deux haies de lamas, qui nous accueillirent avec la plus étourdissante musique que j’aie entendue de ma vie. Imaginez-vous pour instrumens de grandes timbales, traînées sur des chariots à quatre roues, des cors de cuivre longs de dix pieds et soutenus par deux hommes, des tamtams de formes les plus diverses, et puis une foule de cymbales, de castagnettes et de tambours chinois en bois, etc. Les cors et les timbales exécutaient un adagio, auquel, à des intervalles arythmiques, succédait un bruyant allegro, joué par tous les instrumens. Alors les cymbales, les tambours, les castagnettes, résonnaient violem-