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cela peut-il l’être en toi, le roi de la création ; en toi dont la pensée est faite pour embrasser l’universalité des choses. » —

La nécessité a dit vrai. À ce point de vue élevé, d’où je vois l’univers à mes pieds, il n’est pas une seule de mes objections précédentes qui m’apparaisse encore. Le rouge me monte au visage d’avoir osé les produire. Mais suis-je donc inévitablement condamné à gravir cette hauteur ? Pourquoi ne continuerais-je pas à demeurer dans le domaine de ma conscience immédiate ? En d’autres termes, qui me contraint de soumettre mon sentiment intime à la science, plutôt que la science à mon sentiment intime ? Prendre ce dernier parti, c’est sans aucun doute me mettre en mauvais renom parmi les gens qui se piquent de raisonnement. Opter pour le premier, c’est me vouer à une souffrance indicible en même temps qu’à une insupportable nullité. D’un côté, il s’agit de renoncer de moi-même à l’usage de ma raison, de me faire en quelque sorte insensé de propos délibéré ; de l’autre, de briser tout mon être, de m’anéantir, pour ainsi dire, de mes propres mains. Comment me déterminer ?

La liberté et la nécessité m’appellent tour-à-tour. Il faut que je me jette dans les bras de l’une ou de l’autre. Le repos de ma vie, que dis-je ? ma vie elle-même, la réalité de mon existence, dépendent de ce choix. Je ne puis demeurer indécis ; en même temps, pour comble de misère, aucun moyen ne m’est donné de sortir d’indécision.

Étrange et douloureuse perplexité où m’a précipité la plus noble résolution que j’aie prise de ma vie ? Qui pourra m’en délivrer ? Quelle puissance saura me sauver de moi-même ?


barchou-penhoën.


Une traduction complète de la Destination de l’homme doit paraître incessamment en français.