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UNE SOIRÉE À TOLÈDE.

exprimé pour moi d’abord tout ce que bien des mots ne sauraient dire. — Ce jeune homme venait d’embrasser la mère de son enfant. Il était le seul qui la pût comprendre et consoler peut-être. Il avait avec elle sa moitié de deuil à porter. — Elle le sentait bien, elle aussi, qu’il était tout son espoir, tout son appui ; car, lui ayant passé les bras autour du cou, elle demeurait ainsi, les yeux fermés, la tête penchée, pressant silencieusement son mari sur son sein, comme si elle eût tremblé que ce dernier soutien vînt à lui manquer aussi.

Craignant de gêner par ma présence l’épanchement si discret et si touchant de ces deux âmes, j’allais me retirer ; mais les enfans épars sur la place et dans les galeries, ayant soudain interrompu leurs jeux, s’étaient rassemblés à la porte de la boutique. Ils s’écartèrent bientôt un peu, et laissèrent entrer douze petites filles qui arrivaient vêtues de robes blanches, leurs longs cheveux noirs dénoués et retombant sur leurs épaules. Elles vinrent toutes se ranger autour de la table sur laquelle l’enfant était encore étendu. La jeune femme se tenait toujours là, debout, appuyée sur son mari. Ayant aperçu les petites filles, elle avait trop bien compris pourquoi on les amenait, ce qu’elles venaient chercher. — Elle fit un pas vers la table, prit doucement son enfant dans ses bras, et se baissant sur lui, se mit à le considérer attentivement, de tout près, — comme si elle eût voulu étudier une fois encore chacun de ses traits, afin de les graver plus profondément dans son souvenir ; — comme pour se bien assurer qu’elle le pourrait reconnaître quelque autre part, — dans un meilleur monde ; — puis, avec un inexprimable sourire, effleurant de ses lèvres le front inanimé de sa fille, elle la replaça parmi ses fleurs, ainsi qu’elle l’y avait prise ; — et se rejetant sur le sein de son mari, elle y cacha son visage, — et sans doute aussi quelques nouvelles larmes.


L’enfant pouvait partir. Il avait reçu l’adieu maternel. Ah ! cet adieu, ce dernier baiser, c’était un sacrement. Quelle autre extrême-onction y avait-il à donner à cette innocente