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du salut qui lui est offert. Elle attendra pour penser à Béranger que son génie ne soit plus apprécié que d’un petit nombre de fidèles. Elle laissera son règne s’achever, et quand l’oubli et l’indifférence, qui ne manquent jamais aux grands et beaux ouvrages, auront mis le Sénateur et le roi d’Yvetot sur la même ligne que Ninus ii et le traducteur de Lucrèce, alors elle croira pouvoir, sans crainte et sans inquiétude, appeler à elle une gloire évanouie.

Singulière et déplorable manie ! attendre, pour constater un fait, que le fait soit oublié !

Or, il est avéré, au milieu de toutes les ruines qui encombrent les chemins, que l’Académie est condamnée à périr. Vainement la même feuille, qui, en soutenant la candidature de Mathieu de Montmorency, trouvait juste et heureux que l’aristocratie nobiliaire vînt s’asseoir à côté des aristocraties intellectuelles, proclame à son de trompe, que l’on commence à comprendre aujourd’hui la nécessité d’appliquer le talent littéraire à d’autres et plus durables monumens que ceux de l’imagination et de la poésie. Elle a beau vanter MM. Royer-Collard et Cousin au-dessus de Châteaubriand et de Lamartine, elle ne réussira pas à sauver du naufrage un navire qui fait eau par toutes voies.

Et qu’on y prenne garde ; quand l’art est un moyen et n’est plus un but, c’est qu’il faut désespérer de l’art, c’est que l’art est perdu. À ce compte le panégyrique dont nous parlons ressemble volontiers à une oraison funèbre.

Mais peut-on s’étonner d’entendre ainsi parler des lettres et de la gloire qui les couronne, quand une assemblée législative, qui prétend exprimer la pensée publique, discute misérablement, comme elle a fait la semaine passée, les caissons de M. Fragonard, et retire à M. Ingres une magnifique occasion de faire pour la législature ce qu’il a fait pour l’apothéose d’Homère. Quand on entend un homme, tel que M. Delaborde, qui s’intitule connaisseur, qui a écrit sur la peinture et les monumens, qui a visité l’Espagne, l’Autriche, l’Égypte et l’Italie, et qui, Dieu merci a pu s’instruire dans ses voyages de la beauté du passé et de la pauvreté du présent, regretter timidement et