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REVUE. — CHRONIQUE.


LE COIN DU FEU D’UN HOLLANDAIS,
PAR PAULDING[1].


Au train que suivent les choses, on ne peut guère prévoir où s’arrêtera le mouvement désordonné de la littérature contemporaine. À voir comme l’adultère, le viol et le parricide se multiplient et se prodiguent sur la scène et dans les romans, on se demande avec une inquiétude bien naturelle quelles ressources l’imagination pourra invoquer dans dix ans, et si l’on prenait à la lettre la question telle que je la pose, je défierais le plus hardi d’y faire réponse.

Mais heureusement la poésie n’est pas si malade qu’on pense. Il lui arrivera ce que l’histoire des soixante siècles évanouis nous montre à de nombreux intervalles ; elle se renouvellera par une réaction. Il y a quelques années, un critique distingué, à qui la science philosophique doit une réelle reconnaissance, présageait l’épuisement et l’agonie du roman historique, et annonçait en même temps le retour ou l’avènement du roman de passion, des simples récits de la vie ordinaire, où les scènes du monde les plus indifférentes en apparence acquièrent par la délicatesse de l’analyse une valeur inestimable. Il prévoyait qu’Ivanhoe après avoir trouvé en Russie, en Allemagne, en Italie et en France des copistes plus ou moins habiles, céderait le pas à des poèmes plus actuels, satiriques ou dramatiques selon le caractère personnel de l’artiste, mais dont le cadre et les personnages appartiendraient à notre temps. Et en effet la satiété des lectures archéologiques devait amener la réhabilitation de miss Edgeworth et de madame de Souza. On a fini comme on devait s’y attendre par se blaser sur les gantelets et les cottes de mailles, les tournois et les passes d’armes. Belinda et Adèle de Senanges vont reprendre dans les salons et les journaux l’estime qu’ils méritent.

Quoique le nouveau roman de Paulding ne se rattache pas directement à la réaction que j’indique, et que l’ennui de nos lectures ne soit pour rien à coup sûr dans la composition du Coin du feu d’un Hollandais, cependant, je l’avoue, je me suis reposé avec joie dans ce récit fait de rien à ce qu’il semble, j’ai respiré avec bonheur cette atmosphère paisible et sereine, où les personnages vivent à l’aise et pour eux-mêmes, et développent à loisir toutes les faces de leur caractère. Catalina et Sybrandt, entre lesquels se commence et s’accomplit tout le drame du livre, m’ont rappelé la lutte et les coquetteries de Benedick et Béatrice. Mais cette analogie accidentelle de Paulding et de Shakespeare n’est pas même

  1. Un vol. in-8o, chez Fournier, rue de Seine.