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armée, qui dut sa réinstallation dans ses propriétés coloniales à l’avidité trop grande, à la fougue sans direction des flibustiers. Nom éteint, mais qui après avoir été l’épouvantail des mers, en fait encore le charme à la veillée, lorsqu’il se lie à l’un de ces merveilleux récits que répètent si bien les paroles abruptes des matelots.

Le côté poétique n’étant malheureusement pas toujours le côté moral, ce ne serait pas une des moins vives beautés des tableaux nautiques, que les épisodes si curieux de la contrebande. La contrebande, c’est l’épigramme du commerce. C’est la conspiration de l’humanité contre le fisc. Cette conspiration a des magnificences dramatiques sur la mer, comme à la marge des pays limitrophes. Je ne vois ici que ma spécialité. D’autres diront les Pyrénées et les Alpes : ils n’oublieront pas surtout les ballots de feuilles publiques, suspectes de liberté, mises à l’index en Espagne, en Italie : et que le paysan illétré transporte à Barcelone, à Madère, au risque d’un coup de feu. La contravention ronge les frontières. À côté de chaque gêne imposée par les lois au développement du commerce, l’intérêt a placé des hommes occupés à rétablir par l’adresse ou par la force l’équilibre interrompu des échanges : moralement ou physiquement, c’est toujours l’indispensable qu’on a proscrit ; mais trop de conjurés s’entendent. Le spectacle de cette lutte, où, dans la récapitulation des chances, l’avantage reste presque toujours à ceux qui s’y exposent, est fécond en accidens romanesques. Tandis que les ports et les rades s’ouvrent à la légitimité du pavillon sous l’œil de la douane, la barque du contrebandier qui n’a pas de pavillon, ou qui les a tous, cherche la côte déserte ou la baie périlleuse, ne se hasarde que la nuit, conspire avec l’orage, et remplit en quelques heures, toujours au bénéfice du luxe ou des exigences méconnues de la consommation, les lacunes livrées au vide par le génie de la prohibition. Et n’est-ce pas vraiment un fait remarquable, et le côté burlesque de nos lois, que cette supériorité d’instinct acquise aux marchandises défendues sur les marchandises autorisées, que la profusion intarissable avec laquelle elles se prêtent à nos moindres besoins, à nos plus futiles caprices ?