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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

à retenir leur essor ; mais tous marchaient rigoureusement enchaînés à leurs rangs.

Seuls, nos bateaux à vapeur n’avaient aucune place assignée. Porteurs des ordres de l’amiral, ils allaient sans cesse de la tête à la queue des colonnes, et traversaient nos rangs en tous sens. Dans leur marche rapide, rien n’était obstacle à la force d’impulsion qu’ils puisaient dans leurs propres flancs. Ils se jouaient dédaigneusement du vent contraire. Ils se balançaient avec grâce sur la vague écumeuse. Je les suivais alors de l’œil avec un inexplicable intérêt. Ce n’étaient plus pour moi de simples machines ; c’étaient des êtres animés, puissans d’intelligence et de volonté, et je me disais parfois, en les regardant faire : ainsi cheminent noblement dans la vie quelques hommes d’élite, peu soucieux du vent ou de la vague qui pousse ou soulève la multitude, et portant dans leur sein quelque grande pensée, quelque noble sentiment, où ils puisent toute leur destinée.

Tout en faisant le moins de voiles possible pour marcher unis, comme le vent ne cessa de nous favoriser, nous nous trouvâmes dès le quatrième jour en vue de la côte d’Afrique, mais, à notre grand étonnement, nous virâmes de bord, pour reprendre la direction de la France, et le jour suivant l’escadre se trouvait dans la baie de Palme.

Là il nous fallut subir de nouveau les longs ennuis de la rade de Toulon, et cette fois avec moins de résignation peut-être, parce que nous ne savions à quoi nous en prendre. La cause n’en était connue qu’à bord du vaisseau-amiral. Pour nous, sur le pont de notre Ville de Marseille, nous la cherchions vainement du matin au soir à travers le vaste champ des conjectures. Nous ne savions à laquelle nous arrêter. C’était cependant aux deux qui suivent que se réduisaient en général celles que nous imaginâmes : ou bien, disions-nous, il s’agissait d’attendre nos bâtimens de transport et de débarquement, qui avaient dû nous rallier à Palme et qui n’auraient pas pu le faire ; ou bien quelque incident nouveau était survenu, des négociations étaient entamées entre la France et Alger, et peut-être alors étions-nous réservés à la mystification de voir se dénouer sous nos yeux, par la main de la diplomatie, le nœud que nous avions eu mission de trancher avec le sabre. Dans la première de ces suppositions, nous nous croyions en droit d’éprouver quelque impatience ; car il nous semblait que, dans le cas où elle eût rencontré juste, la contrariété que nous éprouvions eût été