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rassés par les cinq journées précédentes, où ils n’avaient presque jamais dormi deux heures, la plupart ayant travaillé toute la nuit, sous les armes depuis dix heures, après s’être battus pendant six, étaient haletans sous un ciel de trente-huit degrés. La fatigue et l’épuisement commençaient à en jeter par terre plus que le boulet. Mais, en entendant la charge, comme le cheval de race qui, au son de la trompette, dresse la tête et piaffe d’impatience, ils se ranimèrent, serrèrent les rangs, et nous recommençâmes à marcher en assez bon ordre. Les batteries furent emportées.

De ce point nous aperçûmes le camp de Staoueli. L’ennemi fit d’abord mine de le défendre, mais surpris de nous voir aussi rapidement maîtres de son artillerie, plus surpris encore de nous voir accompagnés de la nôtre, effrayé surtout des fusées à la congrève avec leurs longues traînées de feu et leurs étranges sifflemens, il ne résista que peu d’instans.

Turcs et Arabes se précipitèrent alors en foule sur la route d’Alger. On les vit couvrir tout-à-coup les sommets du Boujarech. Pas d’avant-garde, pas d’arrière-garde ; aucun ordre, aucun chef, chacun pour soi. Foulant aux pieds cinq ou six mille morts ou blessés que la multitude de chevaux qui toujours suivent les tribus avaient permis d’amener, et qui, rendus là, furent jetés par terre pêle-mêle, ils se ruèrent pendant plusieurs heures aux pieds des murailles de la ville, bon nombre d’eux se faisant remarquer par des efforts désespérés pour arriver des premiers. Ceux-ci tenaient à la main des têtes de Français dont ils voulaient à toute force se faire payer ; mais les portes n’en demeurèrent pas moins impitoyablement fermées pour tous. Celle de la Casauba s’entr’ouvrit, mais ce ne fut que pour un instant, et pour le seul janissaire-aga. Il fut introduit en présence du dey. Du plus loin qu’il l’aperçut, celui-ci, cachant sa colère sous les dehors d’une froide et amère ironie, lui demanda quelle nouvelle il venait lui donner de ces chrétiens qu’il s’était fait fort, qu’il s’était vanté souvent d’aller jeter à la mer ; puis s’il était vrai que ce fût au contraire lui qui fût en fuite devant eux. — Eh ! que vouliez-vous que je fisse ? s’écria l’aga dans une réponse qui peint assez bien l’idée que ces peuples se font d’un combat ; je me suis rué sur eux, ils n’ont pas bougé ! Le dey s’emporta de nouveau ; il l’appela chien, le traita de lâche ; il finit par lui cracher au visage. Et ce qui n’étonnera que ceux qui ne connaîtraient pas le respect religieux qu’ont les Turcs pour l’autorité paternelle ou toute autorité qui la représente,