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ter. Les évaluations qu’on lui demanda sur une partie de sa fortune, qui se trouvait entre nos mains, et qu’il s’agissait de lui restituer, au premier abord parurent modérées ; vérifiées plus tard, elles furent trouvées exactes. Il donna des renseignemens étendus, détaillés, sur l’administration de la régence, sur les beys avec qui nous allions entrer en relation, et, après une conférence de trois quarts d’heure, termina par ces mots, que vous serez, peut-être, quelque peu étonné de trouver dans sa bouche : — Sur tout ce que j’ai dit l’on peut m’en croire, car moi aussi j’ai régné, et l’on sait que la parole des souverains doit être sacrée. — Bien entendu d’ailleurs que je ne vous donne pas cela comme paroles d’évangile.

Ce dut être un moment d’enivrement pour M. de Bourmont que celui, où, dans toute la pompe de la victoire, il reçut Hussein, se présentant en suppliant dans le palais qu’il avait quitté la veille. Mais ce jour-là, presque à la même heure, à Sidi-Feruch, une demi-compagnie de grenadiers, les armes renversées, escortait un cercueil vers l’enclos devenu depuis peu notre cimetière. Derrière venaient en assez grand nombre des officiers de tout grade, dont plusieurs laissaient lire sur leur visage une sorte d’amer désappointement, de douloureux mécompte ; peut-être n’en aurait-il pas fallu davantage à l’observateur pour apprendre que celui qu’on conduisait à sa dernière demeure, victime de quelque caprice du sort, avait été dérobé à de nobles, à de légitimes espérances, était tombé sur le seuil d’une destinée brillante. Le convoi arrivé à son but, le cercueil descendu dans la fosse, et les deux grenadiers qui l’avaient creusée se préparant à la combler, un officier détachant sa propre croix de Saint-Louis l’y jeta. Chacun l’en remercia d’un regard ; — cette croix allait bien à ce cercueil, mieux qu’à bien des habits. Celui dont il renfermait une partie de la dépouille mortelle l’avait, lui, payée de son sang. La fosse comblée, le colonel *** tira son épée et l’en salua — : Adieu donc, dit-il, cher et brave Amédée, et les assistans se dispersèrent. C’étaient les funérailles d’Amédée de Bourmont[1].

Peu d’heures après, dans une sorte de salon précédant l’appartement où lui-même se trouvait, le général en chef entendit un bruit dont il ne put discerner la nature. Il s’en informa d’un aide-de-camp qui au même instant entrait chez lui. — C’est un

  1. Le corps fut embaumé, mais on enterra les entrailles, les parties corruptibles.