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EXPÉDITION D’AFRIQUE.

tendu que la fascination ne pouvait se soutenir, que Bonaparte donc lui avait dit : — Vous ne voulez pas de moi pour maître ? Et que celui-ci, le regardant avec des yeux qui ne se baissaient pas non plus, parlant franchement, simplement, bonnement, comme un homme enfin doit parler à un autre homme, lui avait répondu : — Non vraiment, je n’en veux pas ! — C’est quelque chose au moins que cela ! Calculez un peu sur vos doigts à combien l’aventure est arrivée : vous n’irez pas loin, je vous le jure, pour en faire le compte.

Des femmes du pays, j’aurai moins à vous dire encore que des hommes. Elles sont belles, assure-t-on, mais elles nous sont demeurées, à cette époque du moins, cachées, voilées, inabordables à la moins criminelle conversation. On rencontrait bien à la vérité par les rues, par les places, des Juives en grand nombre, mais le teint si have, avec cela tellement malpropres, tellement déguenillées, qu’il n’y a pas, je crois, de grenadier, qui, de leur vue seule, n’en eût assez. L’imagination se refusait absolument à les classer dans le genre femme. On voyait encore des espèces d’ombres blanchâtres, dérobées aux yeux par d’épaisses couvertures de laine, qui, du sommet de la tête, tombaient toutes raides jusqu’à mi-jambe ; mais sur leurs voiles la discipline et les ordres du jour avaient écrit de si terribles défenses, qu’aucun, bien que la main en démangeât peut-être à plusieurs, ne se hasarda à les soulever pour s’assurer de la chose. Pour tout dire aussi, ce que leurs pieds et le bas de leurs jambes nues permettait de voir d’une peau le plus souvent fanée, flétrie, était loin d’annoncer de jeunes et frais visages. Les vieilles étaient peut-être seules à sortir ; peut-être aussi les laides qui comptaient sur leurs voiles ? Je veux consulter sur ce point quelque belle dame de mes amies.

Une fois, une seule fois, le hasard souleva pour moi l’un de ces voiles impitoyables.

Revenant du port où j’avais vu embarquer un certain nombre de Turcs qu’on déportait, et retournant à la Casauba, je cheminais à travers des rues tout-à-fait désertes. À quelques pas de moi, j’en aperçus un qui, portant une femme dans ses bras, s’assit sur une borne, à l’entrée d’une étroite et obscure ruelle. Au moment où je passais près de lui, voulant faire tomber la cendre d’un cigarre que je fumais, j’abandonnai mon sabre qui résonna sur le pavé. Le Turc entendant ce bruit, tressaillit et releva vivement la tête. Ce mouvement découvrit la figure de la femme qu’il tenait. Imaginez de