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magnifiques yeux noirs illuminant de leur éclat un teint d’une éblouissante blancheur : de grands cheveux plus brillans que l’aile d’un corbeau et retombant en boucles ondoyantes ; des traits d’une pureté, d’une régularité admirables ; admirables aussi de la surprise, de la terreur, de la langoureuse volupté qui s’y peignaient successivement : une tête idéale enfin ; une tête de Raphaël éclairée en ce moment à la manière de Rembrandt, par un rayon de soleil qui, l’isolant au milieu de l’obscurité, la caressait en quelque sorte, au sein d’une atmosphère lumineuse : voilà ce qui s’offrit à moi. Je passai lentement devant elle, j’y repassai plus lentement encore, une fois, deux fois, plusieurs fois, pendant que le Turc me poignardait de ses regards où étincelaient la colère, la haine, la jalousie. À la fin, se saisissant de nouveau de la belle créature, et l’emportant légère comme un enfant, il se remit en marche à pas précipités. Je le suivis sous l’empire de je ne sais quelle fascination, voulant revoir à toute force un moment encore cette merveilleuse apparition ; mais ayant de l’avance sur moi, et prenant sans doute sa course au détour de quelque rue, il m’échappa. Marchant à grands pas, je fis inutilement assez de chemin pour le revoir. Les regards qu’il m’avait lancés ne se seraient pas enflammés comme ils l’avaient fait si cette femme eût été sa sœur : l’étreinte convulsive et passionnée dont il la pressait annonçait de reste qu’il n’avait pas été habitué à sommeiller auprès d’elle dans les paisibles voluptés du lit conjugal : c’était probablement un amant qui, profitant du désordre que la déportation des Turcs jetait dans leurs maisons, enlevait sa belle maîtresse, peut-être à quelque vieux mari, quinteux, podagre, jaloux. Je me plus dans cette idée sur laquelle je m’en allai, rêvant pour eux, en expiation du moment de trouble que je leur avais occasionné, de longs jours d’amour et de bonheur.

Voulez-vous maintenant avoir quelque idée de l’aspect de cette ville d’Alger, dont je vous parle depuis si long-temps ?

En ce cas, pour recevoir au moins par contre-coup quelque chose de l’impression que vous en auriez reçue en la voyant, supposez-vous arrivant par mer par un beau soleil, voulant monter à la Casauba. La Casauba est, comme vous savez, le point culminant de la ville.

Et d’abord, tenez-vous pour averti que vous ne devez rien rencontrer ici de ce qui partout ailleurs frappe immédiatement la vue. Ne cherchez ni clocher s’élevant aux nues, ni monument