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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

aux progrès mêmes de la philosophie moderne. Plus tard, je trouve que M. Cousin n’a plus mis si haut la sagesse alexandrine ; voici comment il la caractérisait en 1829 : « Sans doute le projet avoué de l’école d’Alexandrie est l’éclectisme. Les Alexandrins ont voulu unir toutes choses, toutes les parties de la philosophie grecque entre elles, la philosophie et la religion, la Grèce et l’Asie. On les a accusés d’avoir abouti au syncrétisme ; en d’autres termes, d’avoir laissé dégénérer une noble tentative de conciliation en une confusion déplorable. On aurait pu leur faire avec plus de raison le reproche contraire. Loin que l’école d’Alexandrie tombe dans le vague et le désordre qu’engendre souvent une impartialité impuissante, elle a le caractère décidé et brillant de toute école exclusive, et il y a si peu de syncrétisme en elle qu’il n’y a pas beaucoup d’éclectisme ; car ce qui la caractérise est la domination d’un point de vue particulier des choses et de la pensée[1] ». Ainsi cette école que M. Cousin avait choisi d’abord comme le modèle de l’éclectisme, à ses yeux n’est presque plus éclectique ; il l’accuse d’un mysticisme exclusif, malmène assez rudement son ontologie, sa théodicée : Proclus lui-même, bien qu’il reste toujours un esprit du premier ordre, n’est plus ce soutien de la philosophie et de la liberté, dont les efforts sont généreux et légitimes ; le professeur de 1829 nous le montre finissant par des hymnes mystiques empreints d’une « profonde mélancolie, où l’on voit qu’il désespère de la terre, l’abandonne aux barbares et à la religion nouvelle, et se réfugie un moment en esprit dans la vénérable antiquité, avant de se perdre à jamais dans le sein de l’unité éternelle, suprême objet de ses efforts et de ses pensées[2]. » Et d’où vient ce changement dans l’esprit de l’éditeur de Proclus ? C’est que de 1820 à 1829, bien des impressions différentes l’ont traversé. Après avoir adhéré exclusivement au rationalisme de Kant, après avoir effleuré l’idéalisme de Fichte, M. Cousin ne fut pas long-temps sans soupçonner et

  1. Cours de l’histoire de la philosophie, 1829, t. I, p. 317, 318.
  2. Ibidem, p. 330.