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philosophie n’était plus à faire, mais était faite ; qu’il ne s’agissait que de la rassembler ; qu’elle se partageait en quatre systèmes principaux, le sensualisme, l’idéalisme, le scepticisme et le mysticisme, et qu’en dégageant ce qu’il y avait de vrai dans chacune de ces formes exclusives de la réalité, on retrouvait la réalité pure et complète. Voilà cette fois un éclectisme bien constitué. Ainsi vous voyez, monsieur, que M. Cousin a été tour-à-tour écossais, kantiste, alexandrin, hégélien, éclectique : il nous reste à chercher s’il a jamais été et s’il est philosophe.

Nous sommes ainsi ramenés au point dont nous étions partis. Quelle sera l’idée dont M. Cousin aura élargi la face, et sur laquelle il aura jeté la lumière ? la liberté ? Examinons. La théorie du traducteur de Platon sur la liberté consiste toute entière dans le principe suivant : le moi est tout entier dans la liberté, il est la liberté même ; l’intelligence et la sensibilité se rapportent bien au moi, mais elles ne le constituent pas ; la liberté seule constitue le moi. Cette opinion m’avait d’abord paru plausible ; mais en y réfléchissant davantage, je l’ai trouvé légère, inexacte et tranchant lestement un des plus sérieux mystères de la psychologie. La personnalité humaine est partout ; elle est aussi bien dans la sensation et dans la pensée que dans la volonté ; le problème scientifique est précisément de la suivre sous ces trois faces ; Spinosa n’a-t-il pas cru reconnaître au contraire l’identité de l’intelligence et de la volonté ? Les physiologistes n’ont-ils pas démontré l’union étroite des excitations sensibles et des déterminations, volontaires ? Au surplus, cette affirmation à priori de M. Cousin n’est qu’une rédaction hâtive et brusquée des principes qu’il empruntait au stoïcisme et à Fichte.

La théorie de la raison va être, pour l’éditeur de Proclus, un écueil où il se brisera. Remarquez sa position. Il est parti de la conscience individuelle, tant par conviction que par son apprentissage à l’école de Kant et de Fichte, et il lui faut maintenant arriver à la raison impersonnelle, à l’absolu. Quand vos compatriotes Schelling et Hegel établirent leur idéalisme, ils avaient fait table rase ; ils avaient nié Kant