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DE LA LITTÉRATURE MARITIME.

vie d’agitation, d’étourdissement et d’apparente gaîté. Je ne sais quel dégoût de ce qu’on est et de ce qu’on possède, en faveur de ce qu’on n’est pas et de ce qu’on ne saurait jamais avoir, vient tourmenter l’homme des mers dans sa sphère d’isolement. Loin de l’océan, c’est l’océan qu’il désire ; à peine reposé de longues secousses, à peine les cheveux secs de l’eau salée qui les a mouillés, il redemande son désert marin, ses périls de toutes les nuits, son eau profonde et amère. C’est sans doute dans le vaste ennui d’un voyage que naquit cette tradition qui peint si bien l’homme, dont la mélancolie a touché l’âme.

« Quand pourrai-je revoir la terre ? s’écrie-t-il. Quand pourrai-je voir fumer un toit de chaume, jaunir un champ de blé, m’asseoir sur la borne poudreuse de la grande route ? »

Eh bien ! voilà la terre, les pommiers, la maison de chaume ; que va-t-il faire ?

Il saisit une rame, une rame encore humide comme lui, et posée sur l’épaule, il va loin, bien loin du rivage. Arrivé dans la ville, il fixe sa rame dans la terre et demande à ceux qui l’entourent, à ceux qui cherchent curieusement le sens de sa démarche : « Qu’est-ce que cela ? »

Tous répondent : « C’est une rame !

« — C’est une rame : allons plus loin. »

Plus loin il rencontre un bourg ; portes en ogive, treilles vertes, enfants qui jouent sur la porte. On se rassemble encore autour de la rame, et il demande : « Qu’est-ce que cela ? »

On s’interroge du regard, les femmes se taisent, c’est bon signe ; les enfants n’ont rien vu de semblable ; cependant les vieillards se moquent de l’ignorance des jeunes et répondent impitoyablement : « C’est une rame !

« — C’est une rame : allons plus loin. »

Plus loin il avise un village soutenu par des lierres et des troncs noueux, au penchant d’un abîme ; déchiré par les ronces, imbibé de rosée, le matelot arrive. On le cerne, on le presse. Lui plante encore une fois sa rame dans le sable, et, d’un accent désespéré, il s’écrie : « Qu’est-ce que cela ? »

Cette fois, femmes, jeunes gens et vieillards gardent le si-