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LES AMANS DE MONTMORENCY.

Troublés, ils chancelaient, et, le troisième soir,
Ils étaient enivrés jusques à ne rien voir
Que les feux mutuels de leurs yeux. La nature
Étalait vainement sa confuse peinture
Autour du front aimé, derrière les cheveux
Que leurs yeux noirs voyaient tracés dans leurs yeux bleus.
Ils tombèrent assis, sous des arbres, peut-être
Ils ne le savaient pas, le soleil allait naître
Ou s’éteindre… Ils voyaient seulement que le jour
Était pâle et l’air doux, et le monde en amour…
Un bourdonnement faible emplissait leur oreille
D’une musique vague, au bruit des mers pareille,
Et formant des propos tendres, légers, confus
Que tous deux entendaient et qu’on n’entendra plus.
Le vent léger disait de la voix la plus douce :
« Quand l’amour m’a troublé, je gémis sous la mousse. »
Les mélèzes touffus s’agitaient en disant :
« Secouons dans les airs le parfum séduisant
« Du soir, car le parfum est le secret langage
« Que l’amour enflammé fait sortir du feuillage. »
Le soleil incliné sur les monts dit encore :
« Par mes flots de lumière et par mes gerbes d’or,
« Je réponds en élans aux élans de votre âme,
« Pour exprimer l’amour mon langage est la flamme. »
Et les fleurs exhalaient de suaves odeurs,
Autant que les rayons de suaves ardeurs ;
Et l’on eût dit des voix timides et flûtées
Qui sortaient à-la-fois des feuilles veloutées ;
Et comme un seul accord d’accens harmonieux,
Tout semblait s’élever en chœur jusques aux cieux,
Et ces voix s’éloignaient en rasant les campagnes
Dans les enfoncemens magiques des montagnes ;
Et la terre, sous eux, palpitait mollement,
Comme le flot des mers ou le cœur d’un amant,
Et tout ce qui vivait par un hymne suprême
Accompagnait leurs voix qui se disaient : Je t’aime.