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mesure, de nombre et d’harmonie, ils simulent la science qu’ils décrivent ; il est bien vrai qu’ils ne font ainsi que présenter aux yeux des mortels un miroir de la vie, et que, trompant leurs regards, ils s’adressent à la partie de l’âme qui est susceptible d’illusion ; mais, ô divin Platon, votre faiblesse est grande, lorsque vous croyez la plus faible, cette partie de notre âme qui s’émeut et qui s’élève, pour lui préférer celle qui pèse et qui mesure. L’imagination, avec ses élus, est aussi supérieure au jugement seul avec ses orateurs, que les dieux de l’Olympe aux demi-dieux. Le don du ciel le plus précieux, c’est le plus rare.

— Or, ne voyez-vous pas qu’un siècle fait naître trois Poètes, pour une foule de logiciens et de sophistes très sensés et très habiles ? — L’imagination contient en elle-même le jugement et la mémoire, sans lesquelles elle ne serait pas. — Qui entraîne les hommes, si ce n’est l’émotion ? Qui enfante l’émotion, si ce n’est l’art ? Et qui enseigne l’art, si ce n’est Dieu lui-même ? — car le poète n’a pas de maître, et toutes les sciences sont apprises, hors la sienne. — Vous me demandez quelles institutions, quelles lois, quelles doctrines j’ai données aux villes ? Aucune aux nations, mais une éternelle au monde. — Je ne suis d’aucune ville, mais de l’univers. — Vos doctrines, vos lois, vos institutions ont été bonnes pour un âge et un peuple, et sont mortes avec eux, tandis que les œuvres de l’Art céleste restent debout pour toujours à mesure qu’elles s’élèvent, et toutes portent les malheureux mortels à la loi impérissable de l’amour et de la pitié.

Stello joignit les mains malgré lui, comme pour prier. Le Docteur se tut un moment et bientôt continua ainsi :


CHAPITRE XXXVII.
Du mensonge social.


— Et cette dignité calme de l’antique Homère, de cet homme symbole de la destinée des poètes, cette dignité n’est autre chose