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pareil charlatanisme, c’était la connaissance du seizième siècle et de son langage. Or, M. de Balzac ne paraît pas avoir étudié quinze jours le style de Marguerite, de Marot, de Rabelais et de Montaigne. Il ne sait pas même l’orthographe des mots de la vieille langue. En trois lignes, j’ai compté une douzaine d’erreurs grossières. De toutes façons, Chatterton avait plus beau jeu. Il se fût bien gardé de confondre le style artificiellement antique de Spenser avec la versification anglo-normande des Contes de Canterbury. Il n’eût pas pris l’érudition laborieuse des courtisans d’Élisabeth pour la langue usitée à la cour de Richard ii. M. de Balzac ne s’est pas mis en mesure de retrouver à deux siècles de distance la syntaxe et la phraséologie française. Il ne paraît pas très familier avec les monumens de notre vieille littérature.

Mais il a signé ses contes, il les avoue et les revendique comme son patrimoine, comme sa part de génie et de gloire en ce monde. La question d’érudition peut se vider en deux mots : il ne sait pas, il n’a pas étudié. Reste la question littéraire placée en dehors de l’exactitude littérale du langage. Au lieu de la mye du roy lisez la maîtresse du roi, au lieu d’une dague, une épée, et la discussion se simplifie.

Les Contes drolatiques sont-ils amusans ? Vraiment non. Ils sont obscènes et ne sont pas lascifs. Parmi les innombrables héroïnes qui figurent dans les pages du nouveau volume, j’ai compté bien des prostituées, et pas une seule courtisanne. Les joyeusetés que l’auteur leur attribue peuvent convenir aux porte-faix de Rome, dans la sixième satire de Juvénal, ou bien aux pages de Retif de Labretonne. Mais je n’en sais pas une qui puisse s’appeler Aspasie, Phryné, Laïs, Ninon, Louison d’Arquien ou Henriette Wilson.

C’est partout et à tout propos une débauche réfléchie, froide, calculée et qui n’a rien de libertin, parfaitement étrangère à la troisième âme que Platon nous donne, à l’âme concupiscible. Rien d’ardent ni de spontané, rien qui rappelle l’impudeur naïve de Venise ou de Madrid, l’innocente effronterie des femmes folles de leur corps. Au lieu de cela, que trouvons-nous ? rien autre que l’impuissante lubricité d’un vieillard.

Et ici je n’entends pas plaider la cause de la vertu. Je laisse aux moralistes le soin de démontrer et de défendre les principes et les lois du juste et du bien. Je ne connais rien d’immoral en sculpture, en peinture ou en poésie. J’admire sans répugnance un bas-relief cynique, les plus hardies priapées gravées sur les camées antiques ; je fais grand cas d’une ode célèbre de Piron. Mais toutes ces choses sont vraies avant d’être belles.

Or, les contes de M. de Balzac ne sont pas beaux, parce qu’ils ne sont pas vrais. Ce qu’il raconte, il ne l’a jamais vu, ni senti. Toute la critique d’un pareil livre est dominée par un fait grave, mais irrécusable : il n’y a plus de débauche en France ; les libertins sont rares et ne s’affichent plus. Le métier de libertin n’a plus d’apôtres ni de panégyristes. C’est une distraction tout au plus, mais sans verve effrénée, sans entraînement et sans poésie. Bussy-Rabutin ne trouverait plus à écrire aujourd’hui que les scandales de la chambre. Le marquis de Moncade lui-même serait bafoué comme un ridicule anachronisme.