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LOUVEL.

motifs de son crime. « Si mes juges ne savent pas, disait-il, toutes les circonstances de ma vie, ils ne les apprendront pas sans étonnement. De dix-huit à trente ans, j’ai voyagé par toute la France, et mon livret fait foi de tous les lieux que j’ai parcourus, de toutes les villes où je me suis arrêté pour gagner ma vie. J’étais à Pau vers 1803, quand la conscription m’atteignit. On me plaça dans le train d’artillerie, où mes talens de sellier pouvaient être utiles : mais bientôt je fus réformé à cause d’une hernie dont je souffre encore, et que je gagnai en montant à cheval. Je repris dès-lors mon tour de France, et il n’est guère de département où je ne sois passé, et où je n’aie quelque temps séjourné. Jusqu’en 1814, ma vie est celle d’un simple ouvrier, laborieux, économe, sachant vivre de peu et partout, tirant toutes ses ressources de lui-même, heureux de son indépendance et de son travail. À cette époque, je suis un homme fort ordinaire ; mais à dater de mon voyage de Metz, ma vie commence à prendre une certaine importance. Mon projet une fois conçu, il y a quelque chose de plus en moi, et alors chacun de mes pas, et les moindres circonstances qui s’y rattachent, méritent d’être connues. » En effet, il les raconta toutes avec de minutieux détails à MM. Séguier et Bastard de l’Estang, commissaires de la Chambre des pairs. Il mettait même une sorte d’orgueil à n’oublier aucun fait, à ne déplacer aucune date, et à montrer toutes les phases qu’avait subies sa résolution. Il voulait aussi, en donnant à ses réponses toute la clarté et la précision nécessaires, abréger les interrogatoires, et les rendre moins nombreux ; car le temps lui pesait : il lui tardait d’en finir avec la mort, et souvent, au milieu même de son sommeil, on l’entendit dans ses rêves appeler l’instant du supplice, qui lui semblait se faire bien attendre. « Ces messieurs, disait-il en revenant de ses interrogatoires, ces messieurs veulent voir mon affaire plus grande qu’elle n’est. Ce n’est point ma faute si elle dure si long-temps : je les aide autant que je peux. Mes réponses, à ce qu’il me semble, sont assez claires et assez complètes. Mais la vérité leur paraît trop simple et trop facile à comprendre. Que veulent-ils dire, quand ils me de-