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LOUVEL.

instant de repos dont il pût jouir. Il se servit de quelques expressions grossières, au grand étonnement du gardien, qui jamais ne lui en avait entendu proférer de semblables ; puis il se recoucha et n’interrompit plus le calme de la nuit que par quelques exclamations de malaise et d’insomnie. Le surlendemain, M. Séguier, qui l’interrogeait et le priait d’indiquer sur le plan de La Rochelle la maison du taillandier qui avait fait le poignard, le fit asseoir auprès de lui, et lui dit à voix basse : « Vous vous êtes mis en colère, il y a quelques jours ? — Oui, monsieur, on interrompait mon sommeil ; mais j’ai eu tort de m’emporter. Je suis fâché de ce que j’ai pu dire ; mais ce n’est point mon habitude. — On a des complaisances pour vous, reprit M. Séguier : il faut les reconnaître par votre honnêteté. » Rentré dans sa prison, et racontant cette petite scène, il ajoutait : « M. Séguier a bien raison, j’aurais tort de me livrer à ces emportemens, car ils pourraient me nuire. On a vraiment ici bien des bontés pour moi : il faut être honnête. Demain, au lieu du pain de mon déjeuner, qui me faisait mal, on doit me donner de la soupe, ce que je n’aurais jamais demandé, de peur d’être indiscret ; et, je l’avoue, c’est pour moi une grande douceur que mes repas. Je les prends toujours avec un vif plaisir, et je veux soutenir mes forces jusqu’au dernier jour ; car, quoique je sache bien quel sort m’est réservé, je ne veux pas mourir à l’avance mille fois pour une. J’espère cependant que le moment n’est plus éloigné. Mon prochain interrogatoire sera sans doute le dernier. Ces messieurs doivent être aussi fatigués que moi. Hier, ils m’ont longuement parlé de Dieu, de sa miséricorde infinie et de la mort vraiment chrétienne du duc de Berry. Ils m’ont dit qu’avant d’expirer, il m’avait pardonné et avait plusieurs fois demandé ma grâce avec instance. Les paroles de MM. Bastard et Séguier m’ont touché ; mais, s’ils croient m’amener à me repentir, ils se trompent. Quand on commet un crime comme moi, on ne s’en repent jamais. Ces messieurs m’ont aussi demandé si j’avais un défenseur, et, comme je leur répondis négativement, ils m’annoncèrent que la commission me donnait d’office MM. Ar-