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çon, il le fut complètement par la mienne, ses vieilles joues pâles rougirent sur leurs pommettes ; il fut obligé de s’asseoir, et ses genoux tremblaient un peu.

— C’est madame de Saint-Aignan, me dit-il timidement et le plus bas qu’il put.

— Eh bien ! lui dis-je, du courage, je l’ai déjà soignée. J’irai la voir ce matin à la maison Lazare. Soyez tranquille, mon ami. La traite-t-on un peu mieux ?

— Toujours de même, dit-il en soupirant ; il y a quelqu’un là qui lui donne un peu de fermeté, mais j’ai bien des raisons de craindre pour cette personne-là, et alors certainement madame succombera. Oui, telle que je la connais, elle succombera, elle n’en reviendra pas.

— Bah ! bah ! mon brave homme, les femmes facilement abattues se relèvent aisément. Je sais des idées pour soutenir bien des faibles. J’irai lui parler ce matin.

Le bonhomme voulait bien m’en dire plus long, mais je le pris par la main et lui dis : Tenez, mon ami, réveillez-moi mon domestique, si vous le pouvez, et dites-lui qu’il me faut un chapeau pour sortir.

J’allais le laisser dans l’antichambre et je ne prenais plus garde à lui, lorsqu’en ouvrant la porte de mon cabinet, je m’aperçus qu’il me suivait, et il y entra avec moi. Il avait en entrant jeté un long regard de terreur sur Blaireau qui n’avait garde de s’éveiller.

— Et bien ! lui dis-je, êtes-vous fou ?

— Non, monsieur, je suis suspect, me dit-il.

— Ah ! c’est différent. C’est une position assez triste, mais respectable, repris-je. J’aurais dû vous deviner à cet amour de se déguiser en domestique, qui vous tient tous. C’est une monomanie. — Eh bien ! monsieur, j’ai là une grande armoire vide, s’il peut vous être agréable d’y entrer.

J’ouvris les deux battans de l’armoire et le saluai comme lorsqu’on fait à quelqu’un les honneurs d’une chambre à coucher.

— Je crains, ajoutai-je, que vous n’y soyez pas commodément ; pourtant j’y ai déjà logé six personnes l’une après l’autre.

C’était, ma foi, vrai.