Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

Il me salua profondément et sortit. Je revins me préparer à partir, en haussant les épaules. Un grand corps me ferma le passage de mon cabinet : c’était mon canonnier, c’était Blaireau, réveillé aussi bien qu’il était en lui. Vous croyez peut-être qu’il pensait à me servir, — point ; — à ouvrir les portes, — pas le moins du monde ; — à s’excuser, — encore moins ! Il avait ôté une manche de son habit de canonnier de Paris, et il s’amusait gravement à terminer, de la main droite, avec une aiguille, un dessin symbolique sur son bras gauche. Il se piquait jusqu’au sang, semait de la poudre dans les piqûres, l’enflammait et se trouvait tatoué pour toujours. C’est un vieil usage des soldats, comme vous le savez mieux que moi. Je ne pus m’empêcher de perdre encore trois minutes à considérer cet original. — Je lui pris le bras : il se dérangea peu, et me l’abandonna avec complaisance et une satisfaction secrète. Il se regardait le bras avec douceur et vanité.

— Eh ! mon garçon, m’écriai-je, ton bras est un almanach de la cour et un calendrier républicain.

Il se frotta le menton avec un rire de finesse : c’était son geste favori, et il cracha loin de lui, en mettant sa main devant sa bouche par politesse. Cela remplaçait chez lui tous les discours inutiles : c’était son signe de consentement ou d’embarras, de réflexion ou de détresse, manie de corps-de-garde, tic de régiment. Je contemplai sans opposition ce bras héroïque et sentimental. — La dernière inscription qu’il y avait faite était un bonnet phrygien, placé sur un cœur, et autour : Indivisibilité ou la mort.

— Je vois bien, lui dis-je, que tu n’es pas fédéraliste comme les Girondins.

Il se gratta la tête. — Non, non, me dit-il, ni la citoyenne Rose non plus.

Et il me montrait finement une petite rose dessinée avec soin, à côté du cœur, sous le bonnet.

— Ah ! ah ! je vois pourquoi tu boites si long-temps, lui dis-je ; mais je ne te dénoncerai pas à ton capitaine.

— Ah ! dame ! me dit-il, pour être canonnier, on n’est pas