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REVUE. — CHRONIQUE.

prices et les saillies du style primesautier, trop rare aujourd’hui ; après avoir réfuté la pruderie et les grimaces du style académique, il a franchement abordé la question dramatique dans la personne de Racine et de Corneille. La critique d’Atalie et de Britannicus, faite au nom de la Bible et de Tacite, et qui soulevait, il y a deux ans, presque autant de colères qu’un pamphlet, est désormais acquise à l’austère impartialité de l’histoire.

Après l’ode et le drame, il ne restait plus, pour compléter le développement cyclique de l’imagination, que le roman ou l’épopée. C’est ici que nous devons regretter que M. Sainte-Beuve n’ait pas touché aux noms de Lesage et de Voltaire, à Gilblas et à la Henriade. Il a écrit sur Manon Lescaut des pages qui n’ont rien à envier, pour l’abandon et la rapidité, aux meilleures de l’abbé Prévost.

Pour les autres chapitres, l’auteur n’a guère écouté que ses fantaisies et ses prédilections. Il a tracé de Diderot un portrait fin et ingénieux, mais où Jacques le fataliste se fait regretter.

Quand M. Sainte-Beuve aura fait sur Molière et Beaumarchais les études consciencieuses auxquelles il est rompu depuis long-temps, il aura épuisé la substance de notre histoire littéraire, il aura dit, sur les trois derniers siècles de notre France, les meilleures et les plus indispensables vérités.

Seulement nous hasarderons pour l’avenir un conseil sincère. N’y aurait-il pas plus d’avantage à négliger pour le public, qui en tient rarement compte, plusieurs détails qui, bien que vrais en eux-mêmes, nuisent cependant au relief et à l’évidence de l’idée principale qu’on veut mettre en lumière ? En donnant sous la forme soritique toutes les pensées intermédiaires, tous les anneaux de la chaîne, on va mieux aux esprits patiens : mais la chaîne, en s’élargissant n’étreint pas assez étroitement ce qu’on veut montrer. Pour atteindre les vulgaires attentions, il serait plus habile de laisser dans l’ombre les branches de l’arbre, et de n’éclairer que le tronc.


Une révolution d’autrefois[1]. — Il faut savoir gré à MM. Pyat et Theo d’avoir essayé de prendre l’antiquité latine du même côté que Pétrone et Suétone, d’avoir cherché la satire et la naïveté, là même où le dix-septième siècle tout entier n’avait vu que de pompeuses tragédies : c’était une hardie et heureuse innovation, et à laquelle le succès ne pouvait manquer. La première représentation de cette ingénieuse comédie avait été couverte d’applaudissemens. Des intrigues de police, d’inextricables calculs d’administration ont cherché, dans une peinture simple et nue de la vie romaine, des allusions modernes, bien éloignées sans doute de la pensée des auteurs. En attendant que la presse et la tribune épuisent et décident la question de la censure et de la liberté des théâtres, il ne reste aux hommes de cœur et de franchise, qui n’ont pu obtenir, pour une œuvre de conscience, le secours et l’éclat de la scène, que l’attention et les éloges des lecteurs. On pourrait désirer peut-être plus de profondeur et de portée dans le tableau que nous avons sous les yeux. On devine facilement, sous la gaîté spirituelle et mordante du dialogue, d’amères et sérieuses pensées, à qui le temps et le travail ont manqué, pour se révéler et se produire complète-

  1. Chez Paulin, place de la Bourse.