Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
REVUE DES DEUX MONDES.

lavés, de la lumière, de l’air, de l’ordre partout. Les geôliers, les guichetiers, les porte-clefs d’aujourd’hui se nomment directeurs, conducteurs, correcteurs, surveillans ; portent uniforme bleu à bouton d’argent ; parlent d’une voix douce, et ne connaissent que par ouï-dire leurs anciens noms qu’ils trouvent ridicules.

Mais en 1794 ? cette noire Maison Lazare ressemblait à une grande cage d’animaux féroces. Il n’existait là que le vieux bâtiment gris qu’on y voit encore ; bloc énorme et carré. Quatre étages de prisonniers gémissaient et hurlaient l’un sur l’autre. Au dehors, on voyait aux fenêtres des grilles, des barreaux énormes, formant, en largeur, des anneaux ; en hauteur, des piques de fer, et entrelaçant de si près la lance et la chaîne, que l’air y pouvait à peine pénétrer. Au dedans, trois larges corridors mal éclairés divisaient chaque étage, coupés eux-mêmes par quarante portes de loges dignes d’enfermer des loups, et souvent pénétrées aussi d’une odeur de tanière ; de lourdes grilles de fer, massives et noires au bout de chaque corridor et à toutes les portes des loges, de petites ouvertures carrées et grillées que l’on nomme guichets, et que les geôliers ouvrent en dehors pour surprendre et surveiller le prisonnier à toute heure.

Je traversai, en entrant, la grande cour vide où l’on rangeait d’ordinaire les terribles chariots destinés à emporter des charges de victimes. Je grimpai sur le perron à demi détruit par lequel elles descendaient pour monter dans leur dernière voiture.

Je passai un lieu abominable, humide et sinistre, usé par le frottement des pieds, brisé et marqué sur les murs, comme s’il s’y passait chaque jour quelque combat. Une sorte d’auge pleine d’eau, d’une mauvaise odeur, en était le seul meuble. Je ne sais ce qu’on y faisait, mais ce lieu se nommait et se nomme encore le Casse-Gueule.

J’arrivai au préau, large et laide cour enchâssée dans de hautes murailles ; le soleil y jette quelquefois un rayon triste, du haut d’un toit. Une énorme fontaine de pierre est au milieu ; quatre rangées d’arbres autour. Au fond, tout au fond, un Christ blanc sur une croix rouge, rouge d’un rouge de sang.

Deux femmes étaient au pied de ce grand Christ. L’une très