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vous avez brisé les liens les plus sacrés et les plus chers. Cette triste maison abattue, Gustave ! c’est tout comme si vous aviez brisé l’autel nuptial. — Mais ces profonds raisonnemens dépassaient Gustave, et il ne les comprenait pas.

À une fenêtre ils s’arrêtèrent. Un spectacle étrange vint frapper leurs regards. Une femme pâle, belle et jeune, se tenait agenouillée au berceau de son enfant. Le lit était défait et brisé. Dans un coin de l’appartement, se tenait un jeune homme pâle et beau ! Cet homme et cette femme dans la nuit, près d’un enfant, près de ce lit brisé et défait, dans une position toute passionnée, étaient dans une attitude froide et inerte. Ils avaient été surpris sans transition par cette vertu subite qui venait tout-à-coup de tomber dans le monde. Fléau subit, inconcevable fléau, qui ôtait toutes ses grâces aux larmes, toutes ses douceurs aux remords ; vertu qui desséchait l’âme, qui la surprenait plus qu’elle ne la saisissait, qui laissait les yeux secs et rouges ! — Que font là cet homme et cette femme, demanda Gustave au vieillard ?

Le vieillard répondit : — « Cet homme et cette femme étaient tout à l’heure deux amans, ils s’aimaient avec la passion la plus tendre, le jeune homme a séduit à grand’peine la femme de son ami, ils ont été surpris cette nuit par la vertu que nous avons jetée dans le monde ; leur repentir a devancé leur crime ; à présent la mère demande pardon à son enfant des torts dont elle s’est rendue coupable envers son père ; le séducteur s’éloigne de la belle pécheresse ; tout est dérangé dans ces deux existences si bien arrangées pour la passion et pour le drame ; à présent, grâce à la vertu que tu leur as donnée, le jeune homme mourra d’ennui, cette femme mourra d’ennui, le mari de cette femme mourra d’ennui ; l’enfant restera orphelin. Ce ménage pour vivre, heureux, avait besoin de jalousie, de colère, d’amour, de duel. Méchant jeune homme qui leur a enlevé tout cela ! »

Ils continuèrent à marcher dans la ville, ils arrivèrent à une grande place, chargée de grands arbres ; des hommes se précipitaient par milliers hors de toutes les maisons ; c’était un débordement à faire peur, des figures hâves, des corps grossiers, des mains rudes, beaucoup d’yeux louches ; population à part, ef-